Les hommes mangent leur planète
Les hommes mangent leur planète
Par Martine Valo
La pression globale des activités humaines sur l’environnement s’est accrue de 9 % entre 1993 et 2009, selon une étude internationale.
Ces cartes montrent l’intensité estimée des atteintes aux espèces vivantes sur la terre, l’empreinte humaine globale. La première reflète la situation en 2009. La seconde indique l’évolution des améliorations et des aggravations entre 1993 et 2009. | Nature Communications
Plus rapides, plus dévastateurs : les humains intensifient leurs pressions sur leur environnement, menaçant toujours davantage la diversité de la vie sur Terre. C’est en substance ce que dit le travail d’une douzaine de scientifiques de huit universités canadienne, australienne, américaines et européennes, ainsi que de l’ONG Wildlife Conservation Society (WCS). Publiées mardi 23 août dans la revue Nature Communications, ces cartes livrent une mise à jour sévère des connaissances sur le sujet.
Les auteurs estiment que l’impact humain s’est accru de 9 % en seize ans. Intégrant à la fois des images satellites – de déforestation par exemple – et des données recueillies sur place, l’indicateur de l’empreinte humaine qui leur sert de référence est passé de 5,67 en 1993 à 6,16 en 2019. Cet indice standardisé compile les mesures de huit variables : artificialisation des sols, terres agricoles, pâturages, démographie, éclairage nocturne, chemins de fer, routes principales et voies navigables.
Les trois quarts de la planète altérés
Cette étude n’apporte pas que de mauvaises surprises. Ainsi, dans certaines parties du monde, les pressions sur l’environnement ont ralenti d’au moins 20 %. 3 % des vastes écosystèmes pris en compte ici – soit 823 « écorégions » – sont dans ce cas de figure.
Mais cette embellie limitée est loin de compenser les 70 % qui voient au contraire le rythme de leur empreinte humaine s’accélérer de plus de 20 %. Cette publication exclut les 27 % de la superficie du globe où l’empreinte humaine ne peut être évaluée, selon les scientifiques.
Dans l’ensemble, sans compter l’Antarctique, les chercheurs considèrent que 9 % des habitats – soit 23 millions de kilomètres carrés – qui étaient à l’abri des pressions humaines en 1993 ne le sont plus. Les derniers havres préservés sont à chercher dans les toundras et les déserts du Sahara, de Gobi et d’Australie, ou dans les parties les plus reculées des forêts de l’Amazonie et du bassin du Congo.
Les zones les plus rudement affectées apparaissent « terriblement vastes » et très dispersées : forêts tempérées d’Europe de l’ouest, de l’est des Etats-Unis et de la Chine, forêts tropicales d’Inde, du Brésil, de l’Asie du Sud-est.
« Nos cartes montrent que les trois quarts de la planète sont maintenant significativement altérés, et 97 % des endroits les plus riches du point de vue de la biodiversité sont sérieusement touchés », constate James Watson, l’un des coauteurs de l’étude, de l’Université du Queensland.
La pression augmente moins vite que l’économie mondiale
Contrairement à ce que l’on pourrait craindre, les courbes ascendantes des atteintes à la biodiversité – c’est-à-dire les menaces directes et indirectes qui pèsent sur les espèces animales et végétales et font disparaître leurs habitats – n’épousent pas celles de la croissance économique.
Heureusement, car dans la période étudiée la population s’est élevée de 23 %, tandis que l’activité économique a grimpé de 153 %. Oscar Venter, de l’université Nothern British Columbia, y voit un élément « encourageant » car « cela signifie que nous sommes devenus plus efficaces dans la façon dont nous utilisons les ressources naturelles ».
Mesures de conservation
Le rythme des atteintes à la nature varie considérablement d’une partie du monde à l’autre. Les pays les plus prospères, où les taux d’urbanisation sont les plus élevés, sont ceux qui ont le plus freiné le rythme, voire ont inversé la tendance. Certes, écrivent les chercheurs, les régions les plus développées avaient déjà considérablement endommagé leur environnement en 1993. De plus, elles ont tendance à confier à d’autres pays la mission de produire pour leur compte de quoi les nourrir et de les fournir en matières premières : ainsi 40 % des bœufs élevés dans le secteur de l’Amazonie sont exportés vers l’Union européenne.
Néanmoins, en s’appuyant sur les données du commerce international de bois et de denrées, il semble que cette tendance à la délégation n’explique pas tout. Les efforts pour gérer plus durablement les relations de l’homme à l’environnement, les mesures de conservation de la nature et la maîtrise des ravages de la corruption ont un véritable effet.
Les changements dans la pression humaine sur l’environnement intervenus entre 1993 et 2009 sont indiqués sur cette carte en rouge (croissant) et en bleu (décroissant). | Nature Communications
Redresser la barre est donc envisageable. Des améliorations notables pour les espèces vivantes se sont produites ces dernières années non seulement dans les parcs naturels du Canada, mais aussi dans des endroits où des mesures de protection ont été prises, dans des forêts tropicales de la péninsule de Malaisie et au Sri Lanka, dans les pinèdes de Belize…
Cependant, les endroits les plus riches en espèces variées sont ceux où l’empreinte humaine s’aggrave le plus. L’indice est particulièrement inquiétant dans les pays à revenus bas et moyens. Leurs forêts sont les plus évidentes victimes. Dans les mangroves, les forêts tropicales d’Inde, du Brésil, d’Asie du Sud-est et même en Europe, le scénario est toujours le même : les arbres cèdent la place aux cultures et aux pâtures.
Les chercheurs se déclarent « surpris » par l’exactitude de la corrélation entre la pression humaine globale et l’agriculture : celle-ci explique l’essentiel de notre impact sur la Terre, car de plus en plus, la moindre parcelle, même très peu fertile, est exploitée. Voilà comment les humains s’en prennent irrémédiablement à leur planète : ils la mangent.