Les pays d’Europe de l’Est vent debout contre une réforme des « travailleurs détachés »
Les pays d’Europe de l’Est vent debout contre une réforme des « travailleurs détachés »
LE MONDE ECONOMIE
Dans une lettre à Jean-Claude Juncker, le premier ministre populiste hongrois Viktor Orban demande l’abandon de la réforme prévue par Bruxelles.
Viktor Orban, le premier ministre hongrois, et Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, lors du sommet de l’Union européenne de Riga (Lettonie), le 22 mai 2015. | Mindaugas Kulbis / AP
Les gouvernements des pays d’Europe de l’Est ne semblent pas prêts à baisser la garde. Pas question d’accepter un durcissement de la législation européenne sur les « travailleurs détachés », un texte qui permet à leurs citoyens, depuis le milieu des années 1990, d’aller trouver facilement un emploi à l’Ouest. C’est ce qu’a clairement fait comprendre le premier ministre hongrois, Viktor Orban, au président de la Commission, Jean-Claude Juncker, dans une lettre datée du 24 août dont Le Monde a eu connaissance.
Le leader conservateur, connu pour ses dérives populistes et autoritaires, dit sa « déception » à la suite de la décision prise par l’institution, mi-juillet, de maintenir sa proposition d’amender la directive de 1996 sur les travailleurs détachés. Et ce malgré le fait que les parlements nationaux de 11 pays européens, « représentant plus de 100 millions de citoyens », souligne M. Orban, s’y soient opposés.
Pourtant coutumier des charges anti-Bruxelles, M. Orban se permet même une leçon d’Europe, rappelant à M. Juncker que :
« La liberté d’entreprendre est liée à la liberté de circulation des personnes et qu’elle constitue un des fondements de l’intégration européenne ».
Il conclut en réclamant l’abandon de la réforme.
La France, l’Allemagne et la Belgique font pression
Au printemps, les parlements bulgares, hongrois, croates, tchèques, estonien, roumain, lituanien, letton, slovaque et danois avaient émis des « cartons jaunes » afin de contester la démarche bruxelloise. La Commission est passée outre, déterminée à réécrire un texte accusé d’avoir encouragé le dumping social dans l’Union. Il permet que les travailleurs détachés soient payés selon le salaire local, mais que les cotisations sociales appliquées restent celles de leur pays d’origine. Bruxelles veut qu’à l’avenir ils bénéficient des mêmes conditions de rémunération que leurs collègues du pays d’accueil travaillant dans la même entreprise.
Trois pays exercent une pression maximale pour que la directive change : la France, l’Allemagne et la Belgique. Ces dernières années, le nombre de travailleurs venus des pays de l’Est y a considérablement augmenté. Ils sont des centaines de milliers, employés dans les exploitations agricoles, les abattoirs ou sur les chantiers. L’Allemagne en a comptabilisé plus de 400 000 en 2014, la France près de 200 000.
En France, même la gauche adopte une position dure sur le sujet. « Ça ne peut plus durer », avait dénoncé Manuel Valls début juillet.
Et quelques jours plus tard, Jean-Luc Mélenchon avait déclaré :
« L’Europe qui a été construite, c’est une Europe de la violence sociale, comme nous le voyons dans chaque pays chaque fois qu’arrive un travailleur détaché, qui vole son pain aux travailleurs qui se trouvent sur place. »
Un enjeu du Brexit
Le courrier de M. Orban augure de belles batailles, quand la directive amendée parviendra pour approbation au Conseil et au Parlement européens. Le sujet sera aussi au cœur des négociations à venir entre l’Union et le Royaume-Uni pour acter le Brexit, la liberté de circulation ayant été une des grandes motivations du vote du « Leave ».
Il n’est pas impossible que Londres trouve à cette occasion des alliés inattendus (Paris ? Berlin ?) : les Britanniques voudraient pouvoir limiter l’afflux des travailleurs européens dans leur pays tout en conservant leur accès sans restriction au marché commun, ce qui est a priori incompatible. Pourtant, en février, les Européens avaient accepté d’autoriser l’ex-premier ministre Cameron à rogner sur les droits des citoyens non britanniques dans son pays, s’il parvenait à convaincre ses concitoyens de voter « Remain ». Non sans arrière-pensées : certains espéraient bien, eux aussi, un jour profiter de ce premier accro à la liberté de circulation.