Le vice-président américain, Joe Biden, avec le président turc, Recep Tayyip Erdogan, le 24 août à Ankara. | Kayhan Ozer / AP

Des miliciens kurdes soutenus par les Etats-Unis aux prises avec les rebelles syriens alliés à Washington, voilà comment peuvent être résumés les affrontements en cours dans le nord-est de la Syrie, autour de la ville de Jarabulus, non loin de la frontière turque.

C’est dans la périphérie sud de cette ville que des combats ont lieu, depuis samedi 27 août, entre les forces spéciales turques, alliées aux rebelles syriens anti Bachar soutenus par l’administration américaine d’une part, et, d’autre part, les milices kurdes des Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance de combattants kurdes et arabes épaulée par Washington.

Un soldat turc a été tué samedi. En représailles, l’aviation turque a alors bombardé les positions des Kurdes syriens dans la zone. Les Turcs n’ont jamais caché le fait que leur incursion en Syrie le 24 août, baptisée « Bouclier de l’Euphrate », avait un double objectif : faire refluer l’organisation Etat islamique (EI) mais aussi chasser à l’est de l’Euphrate les milices kurdes syriennes (YPG), soutenues par les Etats-Unis.

Voir émerger une région autonome kurde

Lundi 29 août, l’envoyé spécial du président Barack Obama chargé de la coalition contre l’EI, Brett McGurk, en était réduit à multiplier les critiques sur son compte Twitter : « Nous considérons ces affrontements, dans des zones où l’EI n’est pas présente, comme inacceptables et comme une source d’inquiétude. »

Côté turc, le ressentiment est grand envers l’allié américain. Les Etats-Unis devraient « tenir parole » et contraindre les milices kurdes syriennes « à se retirer à l’est de l’Euphrate », a martelé le vice-premier ministre Numan Kurtulmus, lundi, à Istanbul. Faute de retrait, les milices kurdes « deviendront une cible » a averti Mevlut Cavusoglu, le chef de la diplomatie turque.

Les officiels turcs ne perdent pas une occasion de rappeler qu’avant la prise de Manbij, la ville syrienne conquise par les FDS sur l’EI le 12 août, les Américains leur avaient promis que les combattants kurdes se retireraient à l’est de l’Euphrate, juste après l’offensive. Or, les milices kurdes, qui jouent les premiers violons au sein des FDS, se sont empressées, une fois Manbij prise à l’EI, de se diriger vers Jarabulus au nord et non vers Rakka plus au sud.

Détenu par l’EI depuis le début de l’année 2014, le couloir de Jarabulus sépare les cantons kurdes de Kobané et de Jazira, au nord-est de la Syrie, de celui d’Afrine situé au nord-ouest. Pour le parti kurde syrien de l’Union démocratique (PYD, affilié aux rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan, PKK, en guerre contre Ankara depuis 1984), dont les YPG sont le bras armé, faire la jonction entre les cantons est une priorité afin de voir émerger une région autonome kurde le long de la frontière turque.

Embarras

Pour les Turcs, la création d’une région kurde gérée par le PKK, lequel fait exploser chaque jour des convois militaires dans le sud-est de la Turquie, est inadmissible. Voilà pourquoi l’incursion turque dans le nord de la Syrie vise avant tout la création d’une « zone non kurde ». Au fur et à mesure que les villages autour de Manbij sont débarrassés des FDS, les rebelles syriens anti Bachar en prennent le contrôle. Pourront-ils, à l’avenir, tenir leurs positions sans le soutien de l’armée d’Ankara ? La présence turque dans le nord de la Syrie risque de s’inscrire dans la durée.

« Désescalade » était, lundi matin, le vœu pieux du département d’Etat américain pendant qu’à la Maison Blanche, Ben Rhodes, du Conseil de sécurité nationale, en appelait à l’unité. Dans cette perspective, un haut responsable de l’administration a assuré que les FDS, qui englobent les miliciens kurdes considérés comme « des terroristes » par Ankara, s’étaient retirées à l’est de l’Euphrate. Il s’agit de la ligne rouge, tracée le 24 août par le vice-président américain Joe Biden en visite de rattrapage en Turquie après le coup d’Etat manqué du 15 juillet. Ankara avait alors jugé tièdes les condamnations américaines.

L’embarras de Washington est d’autant plus grand que l’administration a longtemps regretté un manque d’engagement turc et s’est reposée, au sol, sur les miliciens kurdes syriens pour lutter contre l’EI, faute d’alternative. Le président Barack Obama aura l’occasion d’évoquer ces tensions dimanche, en Chine, en marge du G20, avec son homologue turc Recep Tayyip Erdogan. La parole américaine s’affaiblit cependant au fur et à mesure que s’approche la fin de son second mandat. Et les arrière-pensées des acteurs en présence ont donc d’autant plus de chances de l’emporter sur l’agenda officiel de la lutte contre l’EI.