Brésil : la présidente Dilma Rousseff destituée
Brésil : la présidente Dilma Rousseff destituée
La présidente dispose de 30 jours pour quitter la résidence présidentielle. Michel Temer, son vice-président, est lui devenu chef d’Etat officiel immédiatement après le scrutin.
Dilma Rousseff : « Je n’ai commis aucun crime »
Durée : 01:05
La dramatisation de sa chute, la dénonciation d’un « coup d’Etat » menaçant la jeune démocratie brésilienne, son passé de guerilla, ses souffrances et sa résistance à la torture sous la dictature militaire (1964-1985) n’auront pas assuré la mansuétude de ses juges. Après des heures de débats marqués par les invectives et les larmes, les sénateurs ont, mercredi 31 août, décidé de la destitution de la présidente Dilma Rousseff à 61 contre 20, soit bien plus que les deux tiers nécessaires à son départ définitif. Un vote conforme au souhait formulé en avril par 60 % de Brésiliens.
La présidente dispose de 30 jours pour quitter la résidence présidentielle, le palais de l’Alvorada à Brasilia qu’elle occupait depuis son élection en 2010 et dans lequel elle s’était recluse depuis son éloignement du pouvoir le 12 mai. Michel Temer, son vice-président, est lui devenu chef d’Etat officiel immédiatement après le scrutin. Il sera investi à 21 heures (heure française).
Accusée de « crime de responsabilité », la dauphine de Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010) n’aura cessé au long de son procès de se déclarer honnête et innocente s’estimant victime d’une terrible injustice. « L’histoire se chargera d’innocenter Dilma Rousseff », a conclu José Eduardo Cardozo qui fut tout au long du processus l’avocat de la présidente.
« Canaille, canaille, canaille ! »
Le motif principal de la destitution est une manipulation comptable, appelée « pédalage budgétaire » qui aurait permis à Dilma Rousseff de masquer la réalité du déficit budgétaire du pays, aidant à sa réélection en 2014. Mais c’est en réalité l’ensemble de sa politique, ses erreurs tactiques, ses défauts personnels, son incapacité à gouverner avec un Congrès hostile ainsi que les errances du parti des travailleurs (PT, gauche), qui ont été, au cours de ces cinq jours de procès, mis en accusation.
Telle la cible expiatoire des maux du Brésil, Dilma Rousseff a été jugée comme la principale responsable de la crise économique, de la récession et du chômage, de la paralysie politique et de l’immoralité politique à la suite de la déflagration de l’opération « Lava Jato » qui a mis au jour les méandres d’un système de corruption tentaculaire impliquant les grands partis politiques, dont le PT, le groupe pétrolier Pétrobras et les géants du BTP.
Dilma Rousseff, le 29 août 2016. | UESLEI MARCELINO / REUTERS
Plus qu’un jugement, la présidente et les 81 sénateurs ont offert le spectacle d’un combat rhétorique retransmis en direct sur les télévisions brésiliennes. A la défense dénonçant un « coup d’Etat », une « mise en péril de la démocratie » voire une « infamie », ont répondu les accusateurs, relatant les mensonges de Dilma Rousseff, sa « surdité politique », sa gestion désastreuse du pays et la « démagogie irresponsable du PT ».
« Nous ne jugeons pas seulement des actes, nous jugeons des habitudes administratives », a résumé le sénateur Eduardo Lopes du Parti républicain brésilien (PRB) proche des Eglises évangéliques. « Le véritable coup d’Etat est celui qui fut mené contre les Brésiliens au chômage et les jeunes qui ne disposent plus de bourse pour étudier », a ajouté Ana Amélia du Parti populaire (PP, droite). « Canaille, canaille, canaille ! », s’étouffera enfin le sénateur Lindbergh Farias (PT) quelques minutes avant le verdict, faisant référence à des mots prononcés lors du putsch contre le président Joao Goulart en 1964, point de départ d’une dictature militaire de vingt-et-un ans, comparant ce procès une mauvaise« farce ».
Dramatisation excessive
Dans cette tragédie politique, Dieu a eu sa place. À l’origine de la demande d’impeachment, déposée sur le bureau de l’ancien président de la chambre des députés, Eduardo Cunha du PMDB – contraint à la démission après des accusations de corruption et de blanchiment d’argent – l’avocate enflammée Janaina Paschoal s’est dite inspirée par l’esprit saint pour sauver le pays de ses souffrances. « C’est Dieu qui a fait que différentes personnes, au même moment, chacune dans ses fonctions, ont compris ce qui arrivait au pays, leur donnant le courage de se dresser et de faire quelque chose [pour l’impeachment] », a-t-elle lancé, présentant, la voix tremblotante, ses excuses à Dilma Rousseff pour les souffrances endurées. « Je lui demande de comprendre que j’ai fait ça aussi en pensant à ses petits-enfants ». Cette émotion bien éloignée du terrain juridique se traduira par les larmes de l’avocat José Eduardo Cardozo et la stupéfaction des Brésiliens.
Paradoxalement, le thème de la corruption et l’évocation du « Petrolao » (le scandale de corruption lié à Petrobras) à l’origine de la colère populaire et des manifestations pro-impeachment des derniers mois fut peu présent dans les débats. « L’opposition pouvait difficilement insister sur ce point, étant elle-même mouillée dans l’affaire », observe Sylvio Costa, fondateur du site d’observatoire du Congrès brésilien, Congresso Em Foco. La corruption était toutefois l’une des causes implicites de l’impeachment, pense-t-il. « Il faut être ingénu pour penser que Dilma Rousseff qui fut présidente du conseil d’administration de Petrobras ignorait tout. L’enquête n’est pas encore terminée », estime M. Costa.
Le procès en destitution de Dilma Rousseff au Sénat après le vote déjà théâtral des députés en avril permettant l’ouverture de la procédure impeachment, a révélé aux Brésiliens un monde politique que la plupart méconnaissaient. « Un spectacle parfois effrayant », constate Daniel Vila-Nova professeur de droit constitutionnel à l’institution brésilien de droit public (IBD) à Brasilia, commentateur des débats pour la télévision TV Senado. « Une hypocrisie institutionnelle », ajoute-t-il. Faute de disposer d’une motion de censure qui aurait permis de motiver le départ d’une chef d’Etat et de gouvernement taxée d’incompétence, il aura fallu dénicher un « crime de responsabilité » obligeant les sénateurs à une dramatisation excessive.
« Quelque chose ne va pas avec notre système politique », a conclu le sénateur Humberto Costa (PT). A ce jour, pourtant, aucun projet ne mentionne cette réforme politique et électorale que beaucoup jugent indispensable.