Négociations sur le Tafta : les malheurs du libre-échange
Négociations sur le Tafta : les malheurs du libre-échange
Editorial. S’il existe une part de vrai dans le procès fait à une mondialisation, l’arrêt des négociations en cours sur un nouveau traité entre les Etats-Unis et l’Union européenne ne serait pas forcément une bonne nouvelle.
Manifestation contre le TTIP, à Hanovre le 23 avril. | Markus Schreiber / AP
Editorial du « Monde ». « Le doux commerce » cher à Montesquieu n’a pas la cote. Le baron de La Brède (1689-1755) y voyait un moyen intelligent pour adoucir les relations entre les peuples. Aujourd’hui, ceux-là, du moins des deux côtés de l’Atlantique, en font souvent une bête noire. L’air du temps, en Europe comme aux Etats-Unis, n’est pas spontanément libre-échangiste. On peut s’en réjouir ou le déplorer. Il faut d’abord comprendre.
Surfant sur l’état de l’opinion, le gouvernement français a annoncé cette semaine qu’il allait demander « l’arrêt pur et simple » des négociations en cours sur un nouveau traité libre-échangiste entre les Etats-Unis et l’Union européenne. L’initiative de ce traité de libre-échange transatlantique (TTIP ou Tafta) revient au président Barack Obama. Mais, ouverts en 2013, et pilotés pour les Européens par la Commission de Bruxelles, les pourparlers bloquent, de part et d’autre.
Paris veut une pause – le temps, sans doute, de franchir quelques échéances électorales sans cet épouvantail. En principe, ce n’est pas à la France d’en décider toute seule, mais à une réunion des ministres du commerce des Vingt-Sept, fin septembre, dans l’élégante capitale slovaque, Bratislava. Il y a des difficultés techniques – l’accès aux marchés publics américains, par exemple – inhérentes à ce genre de négociations. Il y a, surtout, autour de la table, un climat marqué par la défiance des opinions à l’adresse d’une nouvelle phase libre-échangiste. Pourquoi ?
Nombre d’Américains et nombre d’Européens rendent la mondialisation des échanges responsable des pathologies économiques et sociales de l’époque : stagnation, voire régression des salaires moyens depuis trop longtemps ; développement extraordinairement inégalitaire ; fragilisation de l’emploi ; désindustrialisation massive, etc. Couplé à l’immigration, ce visage de la mondialisation est celui que dénoncent à plaisir partis et candidats protestataires ultranationalistes des deux côtés de l’Atlantique.
La mondialisation ne va pas disparaître
Il y a une part de vrai dans le procès fait à une mondialisation qui, chez nous, laisse trop de gens sur le bord de la route. Mais le tableau, on s’en doute, est plus compliqué. Le TTIP ne propose pas de nouvelles baisses des tarifs douaniers : entre l’Amérique du Nord et l’Europe, ils sont au plus bas. La négociation porte d’abord sur l’harmonisation des normes – santé, sécurité, environnement, social – dans les échanges.
Le raisonnement de M. Obama est que si les Occidentaux ne constituent pas un bloc pratiquant des normes élevées en la matière, c’est l’immense puissance commerciale qu’est la Chine qui imposera les siennes – à la baisse. Là réside le vrai risque de régression, selon M. Obama. Il n’a pas forcément tort.
La mondialisation ne va pas disparaître. Les chaînes de production des grands produits industriels les plus courants sont transnationales. Aux Etats-Unis comme en Europe, une bonne partie de la désindustralisation est due à l’automation et à la robotisation, pas au libre-échange. Dans le paysage économique de l’avenir, le vieux remède protectionniste ne servirait à rien.
Alors ? Alors, la mondialisation ne sera mieux tolérée par les opinions que si l’Etat-providence s’adapte pour secourir ceux qu’elle malmène. Il est illusoire de vouloir « protéger » des secteurs derrière des barrières tarifaires. Il est impératif de « protéger » les femmes et les hommes que la mondialisation marginalise. Montesquieu en conviendrait volontiers.