Privés de braderie, les Lillois croient encore à la fête
Privés de braderie, les Lillois croient encore à la fête
Par Geoffroy Deffrennes (Lille, correspondant)
Associations ou particuliers mettent sur pied une myriade de petits évènements pour répondre à l’absence, cette année, du principal évènement touristique lillois, annulé pour raisons de sécurité.
A Lille, le 14 juin 2016. Martine Aubry, la maire de la ville, a renoncé à organiser la traditionnelle braderie, craignant des risques pour la sécurité des participants. | SHAWN THEW / EPA / MAXPPP
D’abord sonnés, les Lillois se sont mobilisés dès l’annonce de la suppression de « leur » braderie par la maire de la ville en raison du risque terroriste. L’annulation de la plus grande brocante d’Europe a été décidée le 5 août par une Martine Aubry glacée par l’attentat du 14 juillet à Nice. Pas question de sortir de l’été sans une dernière fête. A plus forte raison cette année, où le besoin de chaleur collective répond aux tragédies des derniers mois.
La ville sera donc malgré tout en ébullition ce week-end, Vigipirate ou non, sur un modèle plus proche d’une fête de la musique. Les autorités souhaitaient limiter la concentration de foule dans les rues étroites du centre et du Vieux-Lille, et surtout ne pas faire venir des milliers de camionnettes incontrôlables, bourrées d’objets hétéroclites, immatriculées un peu partout en France, susceptibles de cacher des engins explosifs.
Les initiatives se sont multipliées, familiales, associatives, mais aussi commerçantes et municipales sous le slogan « Lille reste en fête » voulu par la maire. Le tout relayé par les réseaux sociaux.
Vide-greniers et « cuite géante »
Ce sont ces familles émigrées plus au sud qui reviennent quand même festoyer à Lille, comme à chaque braderie. Ce sont les restaurateurs qui organisent l’opération « Moult Moules et Cætera », avec 1 euro par plat reversé aux victimes des attentats de Nice. C’est la compagnie du Tire-Laine, un collectif populaire de musiciens, qui propose un vide-grenier dans son jardin à Wazemmes. C’est le Planning familial qui ouvre ses locaux samedi soir pour un apéro-auberge-espagnole où l’on pourra apporter des objets à s’échanger. « Nous préférons des animations dans des lieux fermés, gérés par des professionnels, où bien dans des cercles où les gens se connaissent », explique la préfecture.
Toutes les initiatives n’ont pas enchanté la mairie : de petits panneaux « emplacement réservé » ont fleuri dans les rues, indiquant que certains s’apprêtent à déballer tout de même leur vide-grenier, ce qui obligera la police municipale à intervenir… Quant aux animateurs du site de sorties Even Lille, il prévoyait sur Facebook et Snapchat un « apéro géant » avec Pokemon Go ou pétanque dans quatre parcs lillois. Près de 20 000 personnes avaient « aimé » la page. Mercredi, les responsables d’Even ont finalement renoncé, « fortement dissuadés par les services de police », nous a indiqué la préfecture. Un étudiant qui proposait « une cuite géante », proposition « likée » sur Facebook par près de 20 000 personnes, a aussi été prié de revenir à la raison.
Une braderie de la BD
Mi-août, Martine Aubry a contacté le dessinateur nordiste François Boucq pour lui proposer une braderie de la BD à l’abri du Palais des beaux-arts les 3 et 4 septembre. L’écrivain lillois Michel Quint séjournait à Bordeaux quand le dessinateur l’a appelé tard au soir du 17 août, lui proposant d’écrire un texte sur la braderie, qui serait interprété en direct par six artistes.
« Il m’a expliqué que Martine se démenait pour trouver des remèdes à l’annulation. Un thème m’est venu immédiatement, celui d’un petit Don Quichotte. Le lendemain, je retournais à Lille et j’ai écrit cette histoire d’un gamin de 6 ans, prénommé Martial et fils de militaire… » L’enfant croit à un complot des adultes et décide de brader quand même ses jouets. Il se sauve en ville, autos miniatures et Goldorak dans le sac à dos, aborde passants ou commerçants, troquant ses trésors pour assembler une tenue de Don Quichotte.
Selon lui, à l’inverse du repli religieux ou identitaire, lors de la braderie, toutes les populations se parlent. « C’est une conjuration du destin social, une fraternisation éphémère, un héritage saxon-flamand que toute la France nous envie, s’enflamme l’écrivain. Ce déballage de l’intime, où la ville passe du dedans au dehors, est profondément chargé d’humanité. Il y a une dimension de confidence humaine, mes objets disent : “Je suis ça !” » C’est précisément cette humanité que les Lillois veulent préserver ce week-end, malgré les peurs.
Braderie de la BD, Palais des beaux-arts, samedi 3 et dimanche 4 septembre, de 10 heures à 18 heures (performance Michel Quint, François Boucq, 15 h 30 à 17 h 30 dimanche)