Sarkozy, Juppé, Fillon, Le Maire : un week-end d’intox à droite
Sarkozy, Juppé, Fillon, Le Maire : un week-end d’intox à droite
Par Adrien Sénécat, Jérémie Baruch
Compilation des erreurs des discours des principaux candidats à la primaire de la droite à La Baule, samedi 3 et dimanche 4 septembre.
La plupart des candidats à la primaire de la droite se sont exprimés samedi 3 et dimanche 4 septembre à La Baule (Loire-Atlantique), au cours du campus régional du parti Les Républicains. Les favoris — Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Fillon et Bruno Le Maire — y ont égrené leurs propositions, accumulant un certain nombre de contre-vérités. Morceaux choisis.
Nicolas Sarkozy
Nicolas Sarkozy à La Baule (Loire-Atlantique), le 4 septembre. | JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP
UN MONTANT DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES EXAGÉRÉ
Insistant sur le poids des impôts fixés par le quinquennat de François Hollande, l’ancien président Nicolas Sarkozy a affirmé, par deux fois, que « les Français ont payé 50 milliards d’impôt en plus » en l’espace de cinq ans.
Selon un rapport de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), plutôt classé centre gauche, les nouvelles mesures en prélèvements obligatoires décidées entre 2012 et 2017 se chiffrent à 42,6 milliards d’euros. En d’autres termes, les impôts, les taxes et certaines cotisations sociales ont augmenté de plus de 40 milliards depuis 2012.
Mais ces prélèvements obligatoires se répartissent entre plusieurs acteurs économiques : les ménages d’une part, les entreprises d’autre part, ainsi que des prélèvements qui ne peuvent être distingués entre les deux.
Si les entreprises ont bénéficié du CICE et du pacte de responsabilité, leur permettant de réduire les prélèvements de 20,6 milliards d’euros, ce n’est pas le cas des ménages. Ces derniers ont effectivement, comme l’affirme le chef du parti Les Républicains, vu une augmentation des prélèvements obligatoires de 47,3 milliards d’euros, sans compter 11,1 milliards non distinguables avec les entreprises.
Néanmoins, ces calculs prennent aussi en compte les mesures votées sous la présidence Sarkozy. Si on les retranche, il reste alors 35 milliards d’euros de prélèvements nouveaux pour les seuls ménages votés sous la présidence Hollande, et 10,7 milliards non distinguables entre les entreprises et les ménages. Soit probablement autour de 40 milliards à 42 milliards d’euros pour les ménages. Le montant est important, c’est ce sur quoi appuie Nicolas Sarkozy. Il est néanmoins plus faible que ce qu’il ne voudrait faire croire.
LES FAUX « 100 % » DE MIGRATION DU SAHEL VERS L’EUROPE
Dans la partie de son discours consacrée à l’immigration, Nicolas Sarkozy a affirmé que « dans trente ans au Sahel, il y aura 200 millions d’habitants. Et la moyenne de la natalité c’est huit enfants par femmes et 100 % du flux migratoire, c’est pour l’Europe ».
Le taux de natalité est certes nettement plus élevé dans la plupart des pays du Sahel que dans le reste du monde, entraînant une nette hausse de la population, mais Nicolas Sarkozy force le trait. Selon les chiffres du Population Reference Bureau, une ONG américaine, le nombre d’enfants moyen par femme est compris entre 4,1 (Mauritanie) et 7,6 (Niger) au Sahel. Il est inférieur à 6 dans sept des dix pays concernés. C’est élevé, mais loin du chiffre avancé par le candidat.
C’est surtout du côté des flux migratoires que l’ex-chef de l’Etat se trompe. Environ 7,2 millions d’immigrants africains étaient recensés dans les pays de l’OCDE en 2004, selon une étude de cette dernière. Parmi eux, 1,2 million (soit un sur six) vivaient en Amérique du Nord. Les immigrants d’Afrique de l’Ouest sont finalement plus nombreux dans l’Union européenne qu’aux Etats-Unis, mais ils sont par exemple moins nombreux en France (288 000) qu’outre-Atlantique (351 000). Nicolas Sarkozy a donc tort de dire que « 100 % » des migrants du Sahel vont en Europe, d’autant qu’une grande partie des migrations se fait au sein même de l’Afrique.
Alain Juppé
Alain Juppé, le 3 septembre, à La Baule. | JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP
UNE CONJONCTURE PAS SI FAVORABLE
François Hollande a-t-il bénéficié d’une bonne conjoncture économique au cours de son mandat, sans réussir à en profiter ? C’est ce qu’affirme l’ex-premier ministre : « Sur le plan économique au moins il a eu une conjoncture exceptionnelle, avec ce qu’on a appelé parfois l’“alignement des planètes”. Un euro dont la parité avait baissé, ce qui nous permet d’exporter plus facilement (…), le baril de pétrole est tombé jusqu’à 30-35 dollars, il est encore au-dessous de 50 (…) et puis des taux d’intérêt qui sont aujourd’hui à zéro. »
Le chef de l’Etat a-t-il vraiment bénéficié d’un contexte si favorable ? L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui se penche sur la question dans un rapport publié lundi 5 septembre, relativise largement l’argument d’Alain Juppé. Selon l’organisme, deux lectures de la situation économique mitigée de la France sont possibles. La première cherche les raisons des difficultés du côté de la crise européenne, la seconde se penche plutôt sur les « rigidités spécifiques à la France » qui appellent des réformes structurelles. Selon l’OFCE, « la comparaison internationale des résultats de la France apporte des arguments aux deux camps ».
D’un côté, les politiques d’austérité en France et en Europe ont eu « un impact négatif important » sur la croissance française. Même chose pour les conditions financières et les difficultés d’accès au crédit. Au crédit de François Hollande, donc, on trouve ces éléments de conjoncture défavorables ainsi que les premiers effets du CICE (mesures en faveur des entreprises) et du pacte de responsabilité, qui ont eu un « impact positif » selon l’OCDE.
De l’autre, la gauche a aussi bénéficié de quelques conditions favorables, comme le contre-choc pétrolier. Et ses choix ne sont pas tous jugés judicieux, le rapport critiquant par exemple « l’ampleur du choc fiscal en début de quinquennat, dont l’impact négatif sur la croissance avait été sous-estimé par le gouvernement ».
Alain Juppé a donc tort de dire que François Hollande aurait bénéficié d’un « alignement des planètes », mais le bilan de l’action économique du gouvernement en lui-même est en demi-teinte.
L’AGRICULTURE FRANÇAISE N’A PAS PERDU SA PREMIÈRE PLACE
Alain Juppé estime qu’il « faut que l’agriculture française redevienne la première agriculture d’Europe », sans préciser sur quel plan. Un constat globalement faux : la France restait, en 2015, le premier pays producteur d’Europe, selon les chiffres d’Eurostat.
Peut-être faisait-il référence au fait que sur le plan du commerce extérieur la France bénéficie du deuxième excédent commercial agricole au sein de l’Union européenne, derrière les Pays-Bas, selon le ministère ? Mais il faut alors aussi savoir que la France bénéficie du meilleur solde de l’Union européenne avec les pays tiers, devant les Pays-Bas.
François Fillon
François Fillon, à La Baule, le 3 septembre. | JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP
UNE GROSSE EXAGÉRATION SUR LES PROGRAMMES D’HISTOIRE
François Fillon a une nouvelle fois dénoncé les programmes scolaires :
« Je propose de revoir l’enseignement de l’Histoire à l’école primaire afin que les maîtres ne soient plus obligés d’apprendre aux enfants, et je cite la circulaire, “à comprendre que le passé est source d’interrogations”. Faire douter de notre histoire, je dis que cette instruction est honteuse quand les thèses révisionnistes prolifèrent sur Internet. »
Une attaque identique à celle de son discours à Sablé-sur-Sarthe le 28 août. La citation à laquelle l’ex-premier ministre fait référence se trouve dans le programme du cycle 3 (du CM1 à la sixième) : « En travaillant sur des faits historiques, les élèves apprennent d’abord à distinguer l’Histoire de la fiction et commencent à comprendre que le passé est source d’interrogations. »
Mais François Fillon en détourne le sens. Quand on lit le texte en entier, il est expliqué que les programmes veulent apprendre à « confronter faits historiques et croyances », « particulièrement en classe de sixième en raison de l’importance qui y est accordée à l’histoire des faits religieux ». Ce qui n’est d’ailleurs pas une nouveauté en soi : la notion d’« esprit critique » était d’ailleurs déjà mentionnée dans les programmes d’histoire des années de CM1-CM2 datés de 1980.
Il n’est donc pas question de remettre en cause l’Histoire de France : « L’objectif, c’est de faire comprendre aux élèves qu’il y a des histoires et l’Histoire. Cela s’appuie sur l’idée que l’Histoire est porteuse d’interprétations, qu’il faut que les élèves approchent de ce qu’est le travail d’historien », explique Patrick Garcia, professeur à l’université de Cergy-Pontoise et coauteur de L’Enseignement de l’histoire en France de l’Ancien régime à nous jours (2003).
UN FAUX PROCÈS À FRANÇOIS HOLLANDE SUR LE BREXIT
A en croire l’ancien premier ministre, François Hollande « n’a pris aucune initiative pour essayer de convaincre nos amis britanniques de rester à l’intérieur de l’Union européenne ». Pourtant, le chef de l’Etat a participé à de nombreuses réunions avec son homologue de l’époque, David Cameron, pour essayer de négocier un accord assouplissant les règles – notamment économiques – entre l’UE et le Royaume-Uni, dont notamment une à Paris en février.
Ces négociations étaient destinées à rendre l’argumentaire des « Remain » (ceux qui voulaient rester dans l’Union) plus attractif avant le référendum et ainsi d’éviter une sortie de l’UE du Royaume-Uni. Ce dernier a d’ailleurs obtenu – partiellement – satisfaction à certaines de ces demandes, mais ce « deal de la dernière chance » n’a pas été suffisant pour éviter le divorce entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne.
Bruno Le Maire
Bruno Le Maire, à La Baule, le 3 septembre. | JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP
UNE PRÉSENTATION TROMPEUSE DU NIVEAU DE LECTURE EN 6e
Le candidat à la primaire a dénoncé, dans son discours, les difficultés des élèves à la sortie du primaire :
« Comment pouvons-nous accepter qu’à la fin du primaire en entrant au collège, près de 20 % de nos enfants ne sachent pas lire, écrire ni comprendre correctement le français ? »
Les statistiques du ministère de l’éducation nationale sur le niveau des élèves de CM2 montrent que 79,8 % des élèves de CM2 maîtrisaient en 2013 les compétences attendues en lecture et 70,9 % celles en mathématiques. Un chiffre qui pourrait sembler conforme à celui cité par le candidat, et même supérieur pour les mathématiques.
Sauf qu’il est faux d’affirmer que les 20,2 % qui n’ont pas acquis les compétences du socle « ne savent pas lire » comme il le fait. Le ministère précise explicitement dans la section consacrée à ces chiffres qu’ils ne peuvent pas être utilisés pour de telles comparaisons. Il faut en fait distinguer trois choses :
l’analphabétisme (1 % de la population française), c’est le fait de ne pas pouvoir, à 15 ans ou plus, en le comprenant, lire et écrire un texte court en rapport avec la vie de tous les jours ;
l’illettrisme (7 % des Français de 18 ans à 65 ans) : c’est le fait de ne pas avoir acquis une maîtrise suffisante pour être autonome ;
le fait de ne pas avoir validé toutes les compétences demandées en fin de CM2 (20,2 % des élèves) : sur la compétence « lire », il est notamment attendu de savoir « dégager le thème d’un texte, repérer dans un texte des informations explicites, inférer des informations nouvelles (implicites), repérer les effets de choix formels ».
UNE CITATION TRONQUÉE SUR L’ARABE À L’ÉCOLE
Bruno Le Maire a également été opposé – à tort –, lors du week-end, à la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, au sujet de l’enseignement de l’arabe à l’école. « Non il n’y a pas d’arabe obligatoirement enseigné à l’école en CP à partir de cette rentrée 2016 », a-t-elle déclaré sur Radio J, dimanche 4 septembre, alors qu’on lui rapportait de supposés propos de l’ex-ministre de l’agriculture.
Plusieurs médias ont écrit que Bruno Le Maire aurait dit : « Il faut dire à Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui veut faire apprendre l’arabe en classe de CP, qu’en France en CP, on enseigne le français. »
En réalité, quand on écoute son discours de La Baule, on entend la phrase suivante, qui ne dit pas la même chose : « Je dis ici à Mme Vallaud-Belkacem, qui veut laisser ouverte la possibilité d’apprendre l’arabe au CP, qu’en France au CP, on apprend la langue française. » Il n’a donc jamais affirmé que la ministre voulait rendre l’enseignement de l’arabe « obligatoire » à l’école primaire.