Si l’océan se meurt, la planète aussi
Si l’océan se meurt, la planète aussi
Par Martine Valo (Hawaï, envoyée spéciale)
Son rôle de tampon face aux changements climatiques a un coût élevé pour les écosystèmes marins, insiste l’Union internationale pour la protection de la nature.
Au milieu du hall d’exposition du congrès de l’Union internationale pour la protection de la nature (UICN) qui se tient à Hawaï jusqu’au 10 septembre, trône une très grosse mappemonde de l’agence météorologique et océanique américaine (NOAA). Elle se taille un franc succès auprès du public en montrant en accéléré le réchauffement de l’océan ainsi que l’augmentation de son taux de salinité depuis la fin du XXe siècle : la planète vire à l’écarlate. Et la gigantesque masse océanique qui la couvre à 71 % – soit 360,6 millions de kilomètres carrés –, devrait encore gagner un à quatre degrés d’ici 2100. Même la température de l’eau des grandes profondeurs est en train de s’élever et près des côtes le thermomètre grimpe 35 % plus vite que dans la haute mer depuis les années 1960.
Les scientifiques estiment que l’océan a absorbé 93 % du réchauffement dû à l’émission de gaz à effet de serre générés par les activités humaines depuis 1970. « Sans cela, il ferait 36°C de plus qu’actuellement sur la terre, ce serait invivable, » traduit Carl Gustav Lundin, directeur du programme marin de l’UICN. Or « 70 % de la biodiversité se trouve dans l’océan », rappelle-t-il. Ce rôle de tampon face aux changements climatiques a un coût élevé pour les écosystèmes marins, c’est ce que le réseau de défense de la nature montre dans une volumineuse compilation d’études scientifiques qu’elle rend public lundi 5 septembre.
Quatre-vingts scientifiques originaires de douze pays y ont contribué. Les experts de la conservation du vivant ont voulu publier une somme – inédite par son ampleur – de leurs recherches, « les plus systématiques – des microbes aux baleines – et les compréhensibles possibles », résume Dan Laffoley, vice-président de la Commission mondiale des aires protégées de l’UICN et l’un des principaux co-auteurs. « Plus d’un quart de ces publications ont été mises à jour depuis la COP21 de Paris où l’océan s’est imposé comme un élément essentiel de la réflexion sur le climat, soit elles sont postérieures aux travaux du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat de 2013 », assure M. Laffoley. Dire que le tableau dressé est sombre relève de l’euphémisme.
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Migrations des organismes marins
« Les changements dans l’océan se font cinq fois plus vite que dans n’importe quel écosystème terrestre », annonce Dan Laffoley. Des régions polaires jusqu’aux régions tropicales, des groupes entiers d’espèces comme les méduses, les tortues et les oiseaux de mer se sont mis à remonter de dix degrés de latitude vers les pôles. Tous les organismes marins se sont mis à migrer : phytoplancton, algues, invertébrés, poissons, mais pas tous selon la même trajectoire. Non seulement le plancton, à la base de la chaîne alimentaire de la faune marine, change d’aires de répartition depuis cinquante ans, mais sa saisonnalité se modifie et il devient plus petit par endroits. Note plus positive : il se diversifie dans les eaux froides.
Ces nouvelles donnes ont des effets « dramatiques », insistent les auteurs sur la reproduction et la nutrition de nombre d’espèces. Le réchauffement a par exemple un effet dévastateur sur les tortues, dont six des sept espèces marines sont classées en danger d’extinction par l’UICN. Entre autres maux, il augmente dangereusement le nombre de femelles au moment de l’incubation des œufs au point de compromettre la génération suivante.
Certains phénomènes sont connus. Ainsi le blanchiment des coraux est un indicateur évident, repérable à l’œil nu, du réchauffement et de l’acidification de l’eau. La totalité d’entre eux devrait être impactée d’ici 2050, alors qu’ils fournissent l’habitat d’un quart des espèces de poissons. Il est plus difficile de sensibiliser le public au sort des algues, pourtant les scientifiques s’inquiètent tout autant de la dégradation accélérée des fonds côtiers. La destruction des forêts de laminaires fait perdre certains poissons, et, pire encore, leurs habitats tout en favorisant les proliférations d’autres algues, réduisant la quantité d’oxygène dans l’eau.
Impacts sur la santé humaine
Près des côtes, les changements vont avoir des impacts manifestes. Certaines populations y sont vraiment dépendantes des produits de la mer. La pêche et l’aquaculture fournissent environ 15 % de protéines animales à 4,3 milliards de personnes dans le monde. Or, sous l’effet de l’élévation des températures à laquelle s’ajoute l’attaque de méduses et de divers pathogènes, les élevages conchylicoles, de crustacés ou de saumons seront amenés à déménager. Quant aux pêcheurs côtiers, il y aura parmi eux des gagnants et des perdants, détaille une des études. En Afrique de l’est par exemple, la pêche moyenne correspond à 5 kg de poissons par personne et par an aujourd’hui dans la plupart des pays. En Somalie par exemple, particulièrement mal dotée, elle pourrait passer de 1,29 kg à 0,85 kg.
En comparaison, les eaux des îles du Pacifique sont très riches, la consommation moyenne tourne autour de 35 kg par personne et procure jusqu’à 90 % de protéines animales à leurs habitants. Les ressources pourraient y diminuer de 20 % vers 2050. Mais le problème de cette partie du monde tient surtout à la destruction des coraux. Celle-ci laisse le champ libre à du phytoplancton, des dinoflagellées, sur lequel se développent des toxines que viennent brouter des poissons herbivores, avant de se concentrer dans les grands prédateurs comme les mérous. On observe ainsi une véritable « épidémie » de ciguatera en Polynésie française ces dernières années, souligne le rapport.
Celui-ci consacre d’ailleurs un chapitre particulièrement glaçant aux impacts de ces mutations sur la santé humaine. « Davantage de chaleur, moins d’oxygène, plus de microbes », résume Dan Laffoley. Les passages qui s’ouvrent entre l’Atlantique et le Pacifique avec la fonte des glaces ne vont pas seulement être une aubaine pour le fret et les organisateurs de croisières, les espèces envahissantes vont elles-mêmes pouvoir circuler davantage, les virus aussi. Plus nombreux, les pathogènes voient en outre leur circulation favorisée par la montée du niveau des mers qui accélère les échanges avec les bactéries terrestres dans les estuaires.
D’une façon générale, les rivages apparaissent de plus en plus vulnérables, pas seulement à cause de la montée du niveau des mers. Les relations complexes qui lient étroitement océan et climat jouent un rôle dans l’accentuation de la force des tempêtes. Or les humains ont fait disparaître nombre de barrières de protection naturelles, comme les mangroves dont 30 % ont disparu en un siècle. Une fois encore, le réchauffement a aggravé ces destructions.
Il reste beaucoup à faire pour que les sociétés humaines prennent la mesure du « plus grand défi caché de notre génération », selon les auteurs du rapport. Au-delà du monde marin, c’est bien la planète tout entière qui va être bouleversée par les changements en cours. « L’océan a une capacité de résilience, il faut l’aider », plaide cependant M. Lundin. Pour cela nous n’avons pas d’autre solution que de réduire nos émissions de gaz à effet de serre.