La croisade contre les médicaments aromatisés irrite les laboratoires
La croisade contre les médicaments aromatisés irrite les laboratoires
LE MONDE ECONOMIE
Les autorités sanitaires veulent mieux encadrer la publicité des produits aux goûts alimentaires qui banalisent la prise de médicament.
Une pharmacie parisienne, le 14 septembre 2015. | BERTRAND GUAY / AFP
Michèle Delaunay espère avoir l’oreille de Marisol Touraine. La députée PS, élue de la Gironde, ancienne secrétaire d’Etat aux personnes âgées, a rendez-vous mercredi 21 septembre avec la ministre de la santé pour l’alerter du développement des médicaments aromatisés en France et de ses risques. Mi-août, Mme Delaunay avait écrit à Mme Touraine pour dénoncer les « médicaments Fraise Tagada ».
« Depuis plusieurs mois, des médicaments pour enfants mais aussi pour adultes, accessibles sans ordonnance, se développent avec des saveurs différentes, comme l’Efferalgan cappuccino, le Fervex framboise ou le Smecta fraise », avait écrit l’élue dans une lettre à la ministre rendue publique le 15 août.
A l’en croire, ce développement « banalise » la prise de médicaments, incline à la « surconsommation » et expose les Français à des risques de surdosage. « À haute dose, le paracétamol entraîne des complications rénales et hépatiques », souligne la parlementaire. L’élue s’interroge sur l’aromatisation de médicaments pour adultes quand « une cuillère de yaourt ou de confiture suffit » pour en masquer le mauvais goût.
Toutefois, elle ne remet pas en cause l’intérêt de « l’aromatisation de médicaments pour les tout-petits et les personnes âgées qui ont du mal à les prendre ».
Encadrement plus strict de la publicité
Michèle Delaunay plaidera auprès de la ministre pour un encadrement plus strict du « marketing de ces produits » et des campagnes de publicité de leurs fabricants. Elle n’est pas la seule. L’Agence nationale de santé du médicament (ANSM) est en train d’élaborer « des recommandations aux laboratoires pharmaceutiques en matière de marketing ». Elles seront dévoilées « fin 2016-début 2017 », précise une porte-parole.
En février, l’ANSM avait imposé au laboratoire Upsa de changer le nom de ses « Effaralgan Cappuccino » et autres « Efferalgan Vanille-Fraise », lancés à grand renfort de publicité en septembre 2015, en « Efferalgan Granulés en sachet ». La filiale du britannique BMS a aussi dû supprimer les photographies évoquant les arômes de ces comprimés de paracétamol. « Un médicament ne doit pas être assimilé à une denrée alimentaire », explique l’ANSM.
Irritation des fabricants
Cette croisade soudaine contre les médicaments aromatisés surprend les fabricants. « Les arômes dans les médicaments, cela fait plus de trente ans que cela existe », observe l’Association pour une automédication responsable (Afipa), qui défend les intérêts de fabricants de médicaments vendus sans ordonnance médicale. De Maalox à Nicorette, en passant par les pastilles contre la toux, nombre de références vendues sans ordonnance présentent des goûts de citron, de miel, de menthe ou de fruits rouges.
Et les médicaments aromatisés sont validés par l’ANSM, rappelle l’Afipa, en soulignant combien « ils favorisent l’observance des soins ». En France, souligne l’association, entre « 30 % et 40 % des patients abandonnent ou suivent mal leur traitement ».
Vendus plus cher
Mais la négligence des malades a bon dos. Les laboratoires, par cette stratégie marketing, s’échinent surtout à relancer la vente des médicaments en France : en 2015, le marché a reculé de 0,2 % par rapport à 2014, pour s’établir à 20,2 milliards d’euros. Tous les fabricants sont aussi confrontés à la baisse des prix des médicaments remboursés qu’imposent les autorités. Et ces médicaments aromatisés qui relèvent du marché dit de l’automédication (en hausse de 5,2 % en 2015) pourraient y remédier : à la manière des nouvelles recettes et des nouveaux packagings de produits alimentaires, ils sont vendus plus cher que leurs produits-mère.
Sur le marché du paracétamol, antalgique favori des Français, la bataille fait précisément rage entre Doliprane (Sanofi), et son concurrent historique, l’Efferalgan (BMS). Pour preuve : à Paris, les 8 sachets d’un milligramme de paracétamol au goût de café sont vendus 2,90 euros en pharmacie, contre 2,10 euros pour 8 comprimés d’un milligramme de paracétamol. Signe que ces arômes artificiels dissimulent aussi l’âpreté de la concurrence entre fabricants.