La rixe de Sisco, « une crise paroxystique où tous les bas instincts sont ressortis »
La rixe de Sisco, « une crise paroxystique où tous les bas instincts sont ressortis »
Par Antoine Albertini (Bastia, correspondant)
Les cinq prévenus impliqués dans une bagarre qui avait dégénéré, le 13 août, en Corse, ont été condamnés, vendredi, à des peines allant de six mois de prison avec sursis à deux ans ferme.
Nicolas Bessone, procureur de la République de Bastia, le 15 septembre. | PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP
Sans dépaysement, dans le calme, la justice est passée au cœur de la nuit. Vendredi matin, vers 4 h 30, le tribunal correctionnel de Bastia a rendu son jugement après un procès-fleuve de douze heures dans une salle bondée, inédit dans les annales des comparutions immédiates. Cinq protagonistes de la rixe de Sisco (Haute-Corse), survenue le 13 août entre plusieurs membres d’une famille marocaine et des habitants de ce village du Cap Corse, ont été condamnés à des peines en tout point conformes aux réquisitions du procureur de la République à Bastia.
Après l’emballement politique et médiatique provoqué par l’affaire, le tribunal s’est employé à ramener la bagarre à ses justes proportions : « une crise paroxystique où tous les bas instincts sont ressortis », selon les mots du procureur, Nicolas Bessone. « La société française et la société corse, qui en fait partie, sont traversées par des fractures, mais ce n’est pas la réalité du dossier, qui est à la fois quelque chose de plus classique et de plus minable », a insisté le procureur dans son réquisitoire.
Pierre Baldi, 22 ans, et Lucien Straboni, 50 ans, deux habitants de Sisco accusés respectivement d’avoir donné un coup de pied à un homme à terre et un coup de poing à un blessé transporté sur une civière, sont condamnés à huit mois et un an de prison avec sursis ; Jamal et Abdelilah Benhaddou, deux des frères marocains – absents à l’audience –, à six mois de prison avec sursis. Sans surprise, la peine la plus lourde a été prononcée à l’encontre de Mustafa Benhaddou, le « meneur » selon l’accusation, dont la condamnation à deux ans de prison ferme et le maintien en détention sont venus alourdir un casier déjà lesté de huit autres sanctions pénales.
Environ 400 personnes étaient réunis à l’extérieur du palais de justice, le 15 septembre. | PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP
« Il n’y a que des trous dans ce dossier »
Jeudi, à l’audience, il ne restait plus grand-chose du matamore en short rouge filmé par les appareils photos des habitants de Sisco le jour des faits : armé d’un harpon, Benhaddou y défiait les Siscais. Dans le box, l’homme de 33 ans, bras croisés dans le dos, exprime de timides regrets et reconnaît avoir « secoué et giflé » Jerry Neumann, 18 ans, qu’il accuse d’avoir pris en photo deux femmes voilées de la famille Benhaddou.
Pour le reste, il se contente de nier ce que témoins et gendarmes ont consigné dans plusieurs procès-verbaux. A-t-il menacé deux touristes qui prenaient des clichés de la crique de Sisco ? Il ne sait plus. S’est-il servi du fusil-harpon qui a blessé Giri Neumann, l’un des villageois appelés en renfort par leurs enfants après une première altercation dans une petite crique des environs ? Il le tenait mais n’a pas tiré. A-t-il traité M. Neumann, ex-légionnaire d’origine tchèque, de « sale Portugais de merde » ? Il a lui-même été visé par des injures racistes et s’est trompé « à cause de l’accent ».
Dans ces conditions, les cinq avocats de la fratrie Benhaddou, dont Mes Jean-François Casalta et Jean-Sébastien de Casalta, les deux bâtonniers d’Ajaccio et de Bastia, se retrouvent contraints de ferrailler à la marge des débats. « Il n’y a que des trous dans ce dossier », explique Me David Maheu, avocat d’Abelilah Benhaddou, tandis que Me Ouadi Elhamamouchi évoque « le contexte corse » où « la situation de certaines minorités est très tendue ».
Reste que ce procès, martèle le procureur de la République à Bastia, Nicolas Bessone, n’est pas celui du « racisme, absent du dossier ». « M. Benhaddou a voulu privatiser une plage, les habitants de Sisco ont surréagi sous la pression d’un emballement médiatique et de rumeurs qui ont propulsé leur paisible village jusqu’à la “une” de CNN », estime le magistrat, rejoint par la défense de MM. Straboni et Baldi, même si leurs explications – des coups portés « involontairement » aux frères Benhaddou – n’ont pas convaincu le tribunal.
« Une affaire somme toute banale »
« Les habitants de Sisco ne se sont pas réveillés ce matin-là avec l’envie collective d’en découdre. Ils sont simplement allés défendre un gosse du village agressé par Mustafa Benhaddou », analyse Me Marc-Antoine Luca. Sa consœur Rosa Prosperi esquisse, elle, les contours d’un procès dans le procès, celui d’intérêts « étrangers au fond du dossier, d’une médiatisation tous azimuts à laquelle ont largement contribué les frères Benhaddou, pour instrumentaliser une affaire somme toute banale ».
Absents à l’audience « afin de ne pas laisser croire à une quelconque pression politique », Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni, présidents du conseil exécutif et de l’Assemblée de Corse, enchaînent les interviews à l’extérieur du palais de justice. Là, près de 400 personnes dont plusieurs dizaines portant des tee-shirts blancs frappés de la tête de Maure et de l’inscription « Siscu, simu à fianc’à voi » (« Sisco, nous sommes à vos côtés ») battent le pavé devant les grilles du palais de justice dans le calme.
La foule d’anonymes venus supporter « ceux de Sisco », clairsemée après une première averse en fin d’après-midi, sera finalement dispersée par la tombée de la nuit et la longueur de débats qui en appellent de nouveaux : les avocats de Mustafa Benhaddou ont d’ores et déjà annoncé l’intention de leur client de faire appel.