Le côté obscur des start-up
Le côté obscur des start-up
Par Catherine Abou El Khair
Autonomie, expérience, jeunesse et bonne ambiance dans les équipes : les atouts de ces jeunes entreprises ne compensent pas toujours les sacrifices parfois importants demandés à leurs salariés.
« Le principe d’une start-up, c’est d’être dans une jungle. Vous avez une offre innovante qui n’a pas encore son marché, et vous ignorez si vous lancez votre produit au bon moment. Il y a plus de bas que de hauts », décrypte Juan Hernandez, cofondateur de l’Accélérateur. | Marc Daniau
Une fois son CDI signé dans une start-up, Maxime, qui tient à garder l’anonymat, s’est installé au plus près de son lieu de travail… pour gagner du temps. « Avoir une heure de transport à l’aller et au retour était ingérable. »
Mais même après s’être rapproché, le rythme était soutenu pour ce jeune salarié, l’un des premiers à être recrutés par cette jeune pousse parisienne pour en développer le business. « Les premiers mois, après le travail, je rentrais chez moi, j’allais dormir tout de suite », raconte ce directeur commercial. Quatre ans plus tard, le métier est bien rentré, mais le rythme reste soutenu. « Une semaine tranquille va commencer à 9 h 30 pour finir à 19 heures. Une à deux fois par mois, je termine à 23 heures », témoigne-t-il.
Les débuts sont souvent sportifs pour les premières recrues des start-up. Ces jeunes entreprises à fort potentiel de croissance, où sont valorisées la polyvalence, l’autonomie, la créativité, l’énergie, leur offrent l’expérience concrète d’un business en pleine construction. « Il y a une très bonne ambiance, on bosse tous en équipe, il n’y a pas d’inimitié, ajoute Marie, salariée dans une start-up spécialisée dans la cybersécurité. On a envie de se démener. »
Vie personnelle entre parenthèses
« On est jeunes, on s’éclate dans de beaux locaux, mais on oublie que c’est aussi énormément de travail, tempère Marion Guillou, responsable de la communication de RemixJobs, un site d’offres d’emploi dans l’informatique. Il y a beaucoup de fantasmes autour des start-up, alimentées par les success story médiatisées, mais elles restent très rares. »
Selon des professionnels de ce milieu, la pression est inhérente à cette forme particulière d’entrepreneuriat. « Le principe d’une start-up, c’est d’être dans une jungle. Vous avez une offre innovante qui n’a pas encore son marché, et vous ignorez si vous lancez votre produit au bon moment. Il y a plus de bas que de hauts », décrypte Juan Hernandez, cofondateur de l’Accélérateur, une structure qui investit dans ces jeunes entreprises et fait du coaching auprès de ses dirigeants.
« Le but, ce n’est pas que le business continue de tourner, mais qu’il se multiplie par dix », explique Paulin Dementhon, fondateur de Drivy, une entreprise d’autopartage née d’une start-up créée il y a dix ans. Il y a une culture de l’urgence et de la rapidité. En revanche, on n’accepte jamais l’imprécision et le manque de rigueur. »
La barre est donc haut placée pour assurer le succès de l’entreprise. « Lors de mon recrutement, on m’a dit que l’important n’était pas le temps de travail mais de remplir les objectifs. Je pensais que j’aurais la capacité de gérer mon temps comme je le voulais. En réalité, on s’aperçoit très vite qu’on en passe beaucoup dans l’entreprise », témoigne Sophie.
Engagée comme commerciale à 32 ans, elle a mis sa vie personnelle entre parenthèses. La première année, les journées se terminaient « après 20 heures » et le travail a débordé sur le week-end. « Mes amis me rappelaient que ce n’était pas ma boîte. Mais j’avais la pression, il fallait apporter les contrats pour financer nos propres salaires », raconte-t-elle.
« J’étais payé au lance-pierre »
Les heures supplémentaires, jamais comptées, passent à la trappe. Dans le meilleur des cas, les salariés ont de la souplesse sur les pauses, les récupérations. « Dans les start-up, les règles du droit du travail ne sont pas respectées en termes d’horaires, du côté de l’employeur comme du salarié. Tant que les deux parties y trouvent leur compte, tout se passe généralement très bien, explique Aurélien Louvet, avocat associé en droit social au cabinet Capstan, qui conseille aussi les start-up. Mais le jour où quelque chose se passe mal, les relations peuvent devenir compliquées, alors qu’elles étaient amicales au départ. Les salariés des start-up acceptent plus difficilement le contrôle et la subordination. »
L’énergie dépensée au départ peut aussi s’affaiblir au fil du temps, lorsqu’il y a un manque de reconnaissance, de souplesse, lorsque le salaire ou les primes n’augmentent pas. « Quand j’ai demandé une augmentation justifiée par mon implication dans l’entreprise, on m’a répondu : l’investissement ne compte pas. J’étais payé au lance-pierre, 1 200 euros net par mois, alors j’ai décidé de partir », raconte Julien, 32 ans, diplômé en webmarketing.
Pour sa part, après être passé par trois start-up, il a constaté « une culture du dépassement de soi qui, en fait, se traduit surtout par du dépassement d’heures supplémentaires. Lorsque l’on part plus tôt, les remarques des collègues ou des patrons sont sous forme de plaisanteries mais fréquentes. »
Julie, 24 ans, une chef de projet, a accumulé toutes les alternances possibles au cours de sa formation pour travailler dans la même start-up, avant d’être recrutée en CDI. « Au début, j’étais frustrée, je gagnais une misère et je n’avais aucune reconnaissance. On m’expliquait qu’on manquait de trésorerie pour m’augmenter, raconte-t-elle. Mais, maintenant, le projet a des chances d’exploser. La boîte vient d’être valorisée et un industriel est entré au capital. » Le pari de Julie, proche d’être gagné, sonnerait-il la fin des sacrifices ?