Luiz Inacio Lula da Silva à Sao Paulo, le 9 septembre. | MIGUEL SCHINCARIOL / AFP

A aucun moment, sa voix n’a tremblé. Didactique et théâtral, démolissant pendant plusieurs heures celui qui reste l’icône des Brésiliens modestes, le jeune Deltan Dallagnol, procureur de 36 ans, a fait, mercredi 14 septembre, de l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010) le « commandant suprême » de la structure de corruption liée au groupe public pétrolier Petrobras. Un réseau mis au jour par l’enquête « Lava Jato » (lavage express).

« Sans le pouvoir de décision de Lula rien n’aurait été possible », a accusé M. Dallagnol lors d’une conférence de presse à Curitiba, dans l’Etat du Parana. Aux yeux du procureur, Lula, figure du Parti des travailleurs (PT, gauche), était en « haut de la pyramide » d’une vaste « propinocracia », néologisme réunissant les termes de « propina » (pots-de-vin) et démocratie.

« Chef d’orchestre »

Décrit comme le « chef d’orchestre » d’un réseau où la société Petrobras, transformée en « poule aux œufs d’or » aurait permis, avec l’aide de groupes du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), d’arroser les partis politiques afin d’assurer la « gouvernabilité » et la « perpétuation criminelle » au pouvoir du PT, Lula est aussi accusé de s’être enrichi personnellement à hauteur de 3,7 millions de reais (1 million d’euros).

La société de BTP OAS, l’une des principales entreprises impliquées dans « Lava Jato », aurait ainsi offert de façon occulte à Lula et à sa femme, Marisa Leticia, un triplex dans la station balnéaire de Guaruja, à une soixantaine de kilomètres de Sao Paulo.

« Une pièce de fiction », un « tour de prestidigitation », ont immédiatement dénoncé les défenseurs de l’ex président. « Il ne fut présenté aucune action pratiquée par Lula, encore moins de preuve », a signalé Cristiano Zanin Martins, avocat de l’ancien syndicaliste. Jeudi, Lula a affirmé que les procureurs qui l’accusent de corruption veulent « détruire » sa vie politique.

Si elles sont validées par le juge Sergio Moro chargé de l’opération « Lava Jato », ces accusations de « corruption » et « blanchiment d’argent » portant sur des sommes allant jusqu’à 88 millions de reais, ouvriront la voie à une mise en examen de l’ex chef d’Etat.

MM. Dallagnol et Moro ayant jusqu’ici travaillé en parfaite entente, la probabilité de poursuites judiciaires semble élevée. L’ancien métallo est déjà inculpé pour avoir tenté de faire obstruction à la justice en cherchant à faire taire l’un des anciens directeurs de Petrobras, Nestor Cervero.

Cabale destinée à faire taire la gauche

Quelques jours à peine après l’« impeachment » (destitution) de la présidente Dilma Rousseff, le 31 août, la charge du parquet prend des allures de mise à mort politique du PT et de Lula. Sur Twitter abondent déjà les messages marqués du mot-clé #LulaVergonhaNacional : Lula, honte nationale. « C’est une crucifixion », réagit un proche du parti de gauche. « Toute une forme de pensée du Brésil qui part à la poubelle », ajoute cette source.

Arrivé au pouvoir en 2003, l’ancien syndicaliste, à la tête de la lutte ouvrière sous la dictature militaire (1964-1985) incarne encore un mythe. Une légende forgée par le gamin du Nordeste qui n’a pas dépassé le cour élémentaire, mais fut capable, sous ses deux mandats, de sortir de la misère des dizaines de millions de Brésiliens, sans faire déraper les comptes publics, tout en s’attirant la sympathie de George Bush comme de Hugo Chavez.

Au fil des ans l’image de Lula s’est usée, ternie par le scandale de corruption du « mensalao », en 2005, un système d’achat de voix des membres du Congrès qui a affecté le PT, et par diverses promesses non tenues. Haï par les uns, adoré par les autres, l’homme reste, toutefois, à 70 ans l’un des grands favoris pour la prochaine présidentielle de 2018.

Ses ennuis judiciaires, largement relayés par les médias, pourraient compromettre cette éventuelle candidature. Cette tempête ne manquera pas, non plus, de diviser une société brésilienne déjà déchirée par la destitution polémique de la présidente Dilma Rousseff. Face à ceux qui font de Lula un « bandit », s’opposent une partie des Brésiliens qui voient dans ces accusations une cabale destinée à faire taire la gauche.

« Une véritable inquisition »

En appui de cette thèse, les méthodes d’une justice qui se serait acharnée contre le PT et son totem, Lula, négligeant les soupçons visant les autres partis. « Une véritable inquisition », réagit Mathias de Alencastro, politologue proche du PT étonné par la présentation des griefs faite par M. Dallagnol sur des schémas « Power Point » où Lula est au centre de tout.

Selon le sénateur Lindbergh Farias (PT), l’attaque contre l’ancien président n’est que le deuxième épisode du « coup d’Etat » démarré par la destitution de Dilma Rousseff visant à restaurer un gouvernement conservateur.

Le PT n’est pas seul en cause. M. Dallagnol mentionne aussi l’implication du Parti progressiste (PP, droite) et du Parti du mouvement démocratique Brésilien (PMDB, centre) du nouveau président Michel Temer. Des ex-alliés du PT.

Mais le procureur fait du parti des travailleurs, et en particulier de Lula, la pièce maîtresse de cette fraude. Furieux, l’ancien président a prévu de contre-attaquer jeudi à ce « théâtre » qui se serait joué à Curitiba.