Roselyne Bachelot : « J’étais en avance sur ma famille politique »
Roselyne Bachelot : « J’étais en avance sur ma famille politique »
Par Jérôme Badie
A une époque de profondes mutations, le rapport au temps est chamboulé. Nous avons invité des personnalités et des anonymes à se confier sur ce vaste sujet. Cette semaine, l’ancienne ministre, Roselyne Bachelot.
Roselyne Bachelot, à son domicile du 15e arrondissement de Paris. | Julien Bourgeois pour M Le magazine du Monde
Conseillère générale, régionale, députée, ministre, on ne présente plus Roselyne Bachelot. Elle est désormais une figure du PAF. En cette rentrée, elle présente « 100 % Bachelot » sur RMC et publie Bien dans mon âge, chez Flammarion. Réfléchir aux problématiques du temps lui permet de livrer un petit manuel de survie dans le monde politique.
L’une des différences principales entre la période où votre père était élu [Jean Narquin, député du Maine-et-Loire de 1968 à 1988] et la vôtre n’est-elle pas le temps ?
Quand j’ai réfléchi à cette problématique avant notre rencontre, je me suis replongée dans l’ambiance familiale et je n’ai pu que constater l’incroyable décalage entre la vie de mon père et la mienne dans notre rapport au temps. La principale différence est le temps que l’on consacre désormais à la communication. Mon père n’avait pas de page Facebook, de compte Twitter ni d’internautes qui lui envoyaient des mails auxquels il devait répondre journellement. Les gens lui écrivaient des lettres ampoulées que la secrétaire traitait.
Autre différence de taille : la distance qu’il avait avec l’actualité. On ne lui demandait jamais de réactions immédiates. Il avait le temps de penser. Et lorsqu’il s’exprimait, c’était en trois points et avec des développements. Aujourd’hui, on fait une matinale qui dure huit minutes avec un journaliste qui vous bombarde de questions.
Enfin, les hommes et les femmes politiques doivent se justifier sans arrêt à propos de leur emploi du temps. Moi qui suis amatrice d’opéra, j’entendais souvent : « Comment avez-vous le temps d’aller à l’opéra ? » sans que ces mêmes personnes ne se demandent si tel ministre regarde « Fort Boyard » le samedi soir. Ce qu’il fait peut-être, d’ailleurs.
Petite fille, avez-vous souffert que la politique prenne tout le temps de votre père ?
Je n’ai jamais eu ce sentiment. Il faut dire que je suis d’une époque où les liens étaient beaucoup plus hiérarchisés entre les parents et les enfants. Je n’ai jamais déjeuné avec mes parents par exemple. Et je dois aussi dire que mon père m’a très vite associée à sa vie politique. J’ai eu une enfance extraordinaire. Je ne sais pas ce qu’est l’ennui.
Ne pensez-vous pas que l’ennui a des vertus ?
J’ai été élevée en pension. Rien ne venait me perturber. Je n’avais pas la télévision. Je faisais deux heures de piano tous les jours. J’étudiais. On sortait peu. C’était formidable. Lorsque j’avais du temps, je prenais un livre et je me posais dans le parc de la pension. Je suis restée une lectrice fanatique qui se cogne dans les réverbères en bouquinant dans la rue.
On dit souvent que les hommes politiques sont toujours en retard. Avez-vous ce rapport décomplexé avec votre emploi du temps ?
Les psychanalystes disent que les gens en retard ont peur de la mort et qu’ils retrouvent la maîtrise de leur vie en laissant dériver le temps. Je n’ai absolument pas ce rapport au temps. Je suis d’une exactitude militaire. Quand les gens arrivent en retard et s’excusent, je leur réponds : « Cela n’a aucune importance. Nous avions convenu d’un rendez-vous d’une demi-heure. Vous n’aurez que vingt minutes. » Ce n’est pas aux gens qui sont à l’heure d’être les valets de ceux qui ne le sont pas.
Dans l’action politique, le temps est crucial. Comment l’avez-vous appréhendé au cours de votre carrière ?
J’ai occupé de nombreux postes ministériels. Je crois que la maîtrise du temps est liée à la capacité de synthèse et à celle de prendre des décisions. Je crois qu’il faut savoir avancer sans se perdre dans des choses subalternes, tout en se gardant des plages de réflexions, de liberté et de tendresse qui vous ressourcent. Par exemple, ministre, j’adorais aller, le dimanche, au théâtre de la Colline, dans le 20e arrondissement, voir un spectacle complètement déjanté qui me bousculait un peu.
C’est une sacrée liberté !
Les conditions de la liberté dans la politique sont claires. D’abord, se dire que l’on a un métier qui permet de survivre. Je suis docteur en pharmacie. Je ne me posais pas de questions à chaque échéance électorale ou à chaque remaniement. Je savais que je pouvais retourner exercer mon métier. Et j’aurais même mieux gagné ma vie ! [Rires] Ensuite, mon père m’a transmis ce qu’il appelait « l’ascèse de l’adieu ». Lorsque je suis entrée à l’Assemblée nationale, il m’a dit : « Tu dois quitter ce bureau chaque soir comme si tu ne devais jamais y revenir. » Pas une photo, pas un objet personnel, pas un bibelot.
Le troisième élément essentiel à mes yeux : avoir construit son propre projet politique, avoir ses propres causes. Je peux dire que j’ai quitté cette vie politique sans avoir transigé sur l’essentiel de mes engagements. Lorsque je me suis engagée pour le PACS, on m’avait dit que je perdrais ma circonscription. J’y étais prête. Ça le méritait ! Je ne l’ai pas perdue… J’étais en avance sur ma famille politique. Ils ont fini par me rattraper en traînant les pieds.
Aviez-vous beaucoup pensé et préparé l’après ?
Non pas vraiment. J’avais seulement fixé le moment et je m’y suis tenue. A la surprise de certains observateurs… Tout au long de ma carrière politique, j’ai essayé de ne pas être un fruit sec et de me nourrir de culture, de sorties, d’écrire de vrais livres, de rencontrer des gens divers, aux avis différents du mien. Et j’ai le sentiment que ceux qui m’écoutaient ont pensé que j’avais une capacité à m’exprimer. Cela me permet de faire ce que je fais aujourd’hui. Ma seule exigence, elle a un rapport avec le temps et la liberté justement : je ne souhaite pas travailler le soir. Cela m’empêcherait de voir mes amis, d’aller au théâtre, à l’opéra, au stand-up, au concert…
Bien dans mon âge, de Roselyne Bachelot, Flammarion, 224 p., 19,90 €, à paraître le 28 septembre 2016.