Une jument enceinte sort d’une grange à Paris, Kentucky, le 12 mai 2001 (photo d’illustration). / JOHN SOMMERS II/REUTERS

Mauvais traitements, prélèvements de sang hebdomadaires et avortements à répétition… De mars 2015 à avril 2017, les associations suisse Tierschutzbund Zurich (TSB) et allemande Animal Welfare Foundation (AWF) ont enquêté sur le sort de juments dans cinq « fermes à sang » d’Argentine et d’Uruguay. Ce type de commerce très particulier a pour but de récupérer une hormone, la gonadotrophine chorionique équine (eCG), sur les juments en gestation. Celle-ci est mondialement prisée par les éleveurs ovins, caprins, porcins et bovins qui veulent optimiser la productivité et la rentabilité de leurs bétails.

Welfarm, une ONG spécialisée dans la protection mondiale des animaux de ferme, relaie les résultats de cette enquête dont Libération a rendu compte jeudi 5 octobre. Adeline Colonat, une des porte-parole de l’association, a répondu aux questions du Monde.

Qu’est-ce que l’eCG et à quoi sert-elle ?

La gonadotrophine chorionique équine (eCG) est une hormone équine secrétée par le placenta de la jument à partir du 40e jour de gestation et environ jusqu’au 120e. Elle est massivement utilisée dans les élevages ovins, caprins, porcins, bovins dans le but de synchroniser les chaleurs chez les femelles. On peut ainsi programmer les naissances, réduire les intervalles entre la fécondation et les mises-bas, et optimiser la reproduction, donc la productivité.

On l’associe à des hormones synthétiques afin de bloquer le cycle des femelles, juste avant de déclencher leur ovulation. Cela permet par exemple de rendre fécondes plus tôt des truies prépubères ou de disposer en masse d’agneaux de lait à Pâques, alors qu’ils devraient plutôt arriver en juin-juillet.

Où sont localisées les « fermes à sang » et avec quels pays font-elles commerce ?

Elles se trouvent principalement en Argentine et en Uruguay. Les associations qui ont effectué l’enquête estiment que 10 000 juments seraient ainsi exploitées dans ces deux pays. L’Islande serait également un pays fournisseur d’eCG, mais dans une moindre mesure. L’Europe, les Etats-Unis et le Canada sont les principaux importateurs de cette hormone. Dans sa présentation sous forme de poudre, celle-ci vaut un million de dollars les 100 grammes. Selon les chiffres des douanes, entre janvier et mai, la société Syntex-Argentine a exporté vers la France un kilo d’eCG, et sa branche uruguayenne, 0.295 kg.

Quel impact ce commerce a-t-il sur la santé des animaux ?

Les juments exploitées passent le plus clair de leur temps sans surveillance vétérinaire, loin des bâtiments de ces fermes. On les rapproche seulement pendant les onze semaines durant lesquelles elles produisent l’hormone. Elles reçoivent des coups pour entrer dans des boxs de contention.

Là, les prélèvements sanguins sont effectués en introduisant une canule dans la veine jugulaire. Ils peuvent aller jusqu’à 10 litres en une seule fois et sont pratiqués jusqu’à deux fois par semaine, ce qui reviendrait à prendre au moins 1,5 litre de sang chez un humain de 80 kg. L’importance de ces prélèvements provoque des anémies dont découlent des maladies de peau, une diminution du volume sanguin, un affaiblissement du système immunitaire, voire la mort.

Que deviennent les juments qui résistent à ce traitement de choc ?

Une fois la campagne de prises de sang terminée, les juments subissent des avortements manuels, sans anesthésie, au bout de trois mois et demi de grossesse, alors que la gestation chez ces animaux dure en principe onze mois. Puis elles sont à nouveau fécondées… jusqu’à l’épuisement. Au bout de trois à quatre ans, celles qui ont survécu à ces années de maltraitance ou qui sont devenues stériles, partent à l’abattoir pour alimenter le commerce de viande chevaline, notamment à destination de la France.

Quelle est la position des autorités européennes face à ces pratiques ?

Ces maltraitances sont contraires aux lois de protection animale en vigueur en Europe. En mars 2016, le Parlement européen a estimé dans un amendement que la production d’eCG dans les pays tiers n’est pas conforme aux standards de l’Union, ce qui n’empêche pas des laboratoires français et d’autres Etats d’Europe de se fournir en eCG auprès de pays moins scrupuleux en matière de bien-être animal.

C’est désormais au Conseil des ministres européens de statuer. Il doit se réunir le 9 octobre mais on ne connaît pas encore son ordre du jour. Par ailleurs, plus d’1,7 million de personnes en Europe ont déjà signé une pétition demandant l’interdiction d’importer l’eCG d’Argentine et d’Uruguay.