Farnaz Esmaeilzadeh, l’autodidacte iranienne de l’escalade
Farnaz Esmaeilzadeh, l’autodidacte iranienne de l’escalade
Par Ghazal Golshiri (Correspondance à Téhéran)
A 27 ans, elle participe aux Championnats du monde qui ont lieu à Paris jusqu’au 18 septembre. Pour y arriver, Esmaeilzadeh s’autofinance et s’entraîne seule.
Farnaz Esmaeilzadeh en janvier. | Ebrahim Noroozi / AP
ll y a eu des soirs où, en rentrant de son entraînement, Farnaz Esmaeilzadeh, la championne iranienne d’escalade sportive depuis 2007, pleurait sur son vélo, tant les difficultés financières et administratives étaient multiples. « Je me disais : “Toutes ces pressions physiques et psychologiques valent-elles vraiment la peine ?” », se rappelle la jeune femme de 27 ans, qui vit à Zanjan, dans le nord-ouest du pays. Parce que les obstacles en tant que femme escaladeuse en République islamique d’Iran, elle en a connu « des tonnes ».
« J’ai commencé à faire de l’escalade sportive dès l’âge de 13 ans, se souvient cette athlète au physique délicat, rencontrée dans un café à Téhéran, avant de s’envoler à Paris pour participer aux Championnats du monde d’escalade et handi-escalade, du mercredi 14 au dimanche 18 septembre. A l’époque, mais encore des années plus tard, on me disait : “Une fille qui monte un mur, c’est du délire !” »
Farnaz Esmaeilzadeh a toujours été une autodidacte car, en Iran, « pour l’escalade sportive, surtout dans la discipline de vitesse, il n’y a pas d’entraîneur professionnel », soutient-elle. Pour combler ce vide, elle regardait donc des vidéos de compétitions sur YouTube, en se mettant à la place des athlètes, et lisait des livres sur l’escalade. La jeune Iranienne intègre très rapidement l’équipe nationale, y devient, en 2007, la meilleure dans sa discipline, et obtient aux championnats d’Asie en Chine, en 2012, sa première médaille, en bronze.
En Iran, les budgets accordés aux sportifs professionnels étant supérieurs à ceux dévolus aux sportives, la Fédération iranienne de la montagne et de l’escalade, annonce vouloir n’envoyer que deux hommes à la Coupe du monde, en Corée du Sud. Aucune femme n’y a été invitée.
Etre discriminée pour son genre ? Essuyer une réponse négative ? Habituée à ne jamais renoncer face aux obstacles, Farnaz Esmaeilzadeh n’entend aucunement accepter son sort. Elle propose donc de payer elle-même pour toutes ses dépenses. « Les frais d’inscription, les billets d’avion, le séjour… Tout », explique-t-elle.
La fédération accepte pour la première fois de l’histoire de la République islamique d’Iran d’envoyer une athlète à ses propres frais, à condition qu’elle soit accompagnée par une autre femme, une surveillante.
La pression monte contre les autorités
L’Iranienne s’entraîne jour et nuit, sacrifie ses amitiés et même ses relations familiales pour être « au top ». Cinq jours avant le départ pour la Corée du Sud, la fédération l’appelle pour lui dire que son accompagnatrice, ayant eu « un empêchement », ne pourra pas venir. Empêchant ainsi Farnaz de partir…
« Je suis restée bouche bée pendant un bon moment », se rappelle aujourd’hui Farnaz Esmaeilzadeh, qui a alors décidé d’expliquer sa situation dans un post sur sa page Facebook, suivie par des milliers d’Iraniens. « Je ne permettrai pas que mes efforts [de cette dernière année] soient vains. Il faut chercher une solution. Cela ne sera pas ma fin », écrit-elle sur sa page à l’époque.
Farnaz Esmaeilzadeh lors de son entraînement. | Ebrahim Noroozi / AP
Son post a été partagé très rapidement et très largement sur les réseaux sociaux. La pression monte contre les autorités. Et ça marche. Pour la première fois, une athlète voyagera toute seule à l’étranger. Une double victoire car, à l’issue de la Coupe, Farnaz Esmaeilzadeh finit sixième dans la discipline de vitesse et améliore le record féminin de son pays.
Depuis, en plus d’utiliser ses propres récompenses, elle a lancé une page de financement participatif pour participer à différentes compétitions internationales, mais aussi pour pouvoir s’entraîner à l’étranger, « dans des conditions correctes », dit-elle. « En Iran, il n’y a pas de mur de vitesse complètement standard, même si, ces dernières années, la qualité des équipements s’est sensiblement améliorée. En plus, je suis obligée de m’entraîner dans un grand complexe sportif où les horaires réservés aux hommes sont plus pratiques et plus longs, regrette-t-elle. C’est le cas presque partout. » En Iran, dans les salles de sport, les hommes et les femmes ne peuvent pas s’entraîner au même moment.
Pour Farnaz Esmaeilzadeh, l’escalade n’est pas qu’un simple sport. « C’est aussi un art de vie », dit-elle. Celui qui lui a donné la force pour repousser les limites de la société iranienne, mais aussi pour changer la mentalité des autorités, qui ont fini par accepter que ce sport soit pratiqué aussi par les femmes. « Même si les responsables ne couvrent toujours pas les frais de nos compétitions, elles ont commencé à y envoyer deux femmes, à la place d’une il y a quelques années », soutient cette athlète, persuadée que les choses vont s’améliorer.
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Durée : 00:44
Aujourd’hui, plus motivée que jamais, Farnaz Esmaeilzadeh ne vise qu’une chose : les Jeux olympiques. « Pour la première fois, l’escalade va faire partie des JO, à Tokyo, en 2020. Après tout, pourquoi pas un record mondial ? Rien n’est impossible », sourit Farnaz Esmaeilzadeh.