Au Burkina Faso, un ex-premier ministre de Compaoré inculpé pour assassinat et écroué
Au Burkina Faso, un ex-premier ministre de Compaoré inculpé pour assassinat et écroué
Le Monde.fr avec AFP
Luc Adolphe Tiao, dernier chef de gouvernement de Blaise Compaoré, est accusé d’avoir autorisé l’armée à réprimer par les armes les manifestations de 2014.
Luc Adolphe Tiao, le dernier chef du gouvernement du président burkinabé Blaise Compaoré, chassé par une insurrection populaire en 2014 après vingt-sept ans au pouvoir, a été inculpé d’assassinat et écroué, vendredi 16 septembre. La veille, une procédure pour désertion a été lancée contre le général Isaac Zida, ex-Premier ministre, réfugié au Canada.
« L’ex-premier ministre Luc Adolphe Tiao a été mis sous mandat de dépôt et conduit à la maison d’arrêt de Ouagadougou dans le cadre de l’instruction du dossier sur l’insurrection populaire » d’octobre 2014, a déclaré le procureur général de la Haute Cour de justice du Burkina Faso, Armand Ouédraogo. « Il a été inculpé d’assassinat, de coups et blessures volontaires et de complicité d’assassinat », a précisé le magistrat.
C’est la première inculpation concernant les 33 personnes tuées, selon le bilan officiel, lors des manifestations anti-Compaoré d’octobre 2014.
Jeudi 15 septembre, une procédure pour « désertion en temps de paix » avait été ordonnée par le président Roch Marc Christian Kaboré contre l’ancien premier ministre de transition, le général Isaac Zida. Ce général Isaac Zida a rejoint en janvier sa famille au Canada à la fin de la transition, muni d’une permission délivrée par le président Kaboré. Sa permission a expiré depuis le 15 février et le président l’a sommé publiquement à maintes reprises de regagner sa base, sans succès.
« Autorisation de tuer »
La procureure du tribunal de grande instance de Ouagadougou, Mme Maïza Sérémé, avait déploré la semaine dernière des « difficultés » liées notamment au manque de « coopération » des autorités pour l’instruction des dossiers.
M. Tiao, qui vivait en exil en Côte d’Ivoire depuis plus d’un an et demi, est retourné de son propre chef au Burkina le week-end dernier, une semaine après l’audition des membres de son gouvernement encore vivants au Burkina Faso. Il avait été entendu dans la foulée, mardi, par la gendarmerie, qui agissait sur commission rogatoire de la Haute Cour de justice, pour son rôle présumé dans les tueries liées aux manifestations qui ont abouti à l’effondrement du régime Compaoré, le 31 octobre 2014.
Selon plusieurs sources jointes par l’AFP, M. Tiao est particulièrement visé pour avoir signé une réquisition appelant « l’armée à assurer le maintien de l’ordre avec usage des armes » le 30 octobre 2014, premier jour des manifestations. « Tout le monde sait que c’est lui qui avait donné l’autorisation de tirer sur les manifestants », a indiqué M. Armand Ouédraogo, refusant de préciser si les ministres du gouvernement Tiao seront écroués eux aussi. Au total, seize ministres du gouvernement Tiao vivant encore au Burkina ont été entendus par la gendarmerie. Le reste des membres du gouvernement est en exil, certains ont trouvé des postes dans des organisations internationales.
« Attentat à la Constitution »
Le Conseil national de la transition (CNT), l’Assemblée intérimaire mise en place après la chute du régime de Blaise Compaoré, avait voté en juillet 2015 une résolution mettant en accusation M. Tiao et tous ses ministres pour « coups et blessures volontaires, complicité de coups et blessures, assassinat, complicité d’assassinat ».
Les députés reprochent notamment aux ministres d’« avoir été membres du gouvernement » qui a adopté le projet de loi modifiant l’article 37 de la Constitution burkinabée qui devait permettre à Blaise Compaoré de briguer plus de deux mandats consécutifs.
Amnesty International, qui avait rendu un rapport au lendemain des manifestations anti-Compaoré, a accusé l’ancien Régiment de sécurité présidentielle (RSP), la garde prétorienne de M. Compaoré, qui fut dissoute après sa tentative de putsch manqué mi-septembre 2015, d’être le principal auteur de ces tueries.
Le président Compaoré, qui vit en exil en Côte d’Ivoire depuis sa chute, a été lui-même mis en accusation par le CNT pour « haute trahison et attentat à la Constitution ». Il est visé par un mandat d’arrêt international lancé contre lui dans une autre affaire liée à l’assassinat du président Thomas Sankara, le « père de la révolution » burkinabée tué lors du coup d’Etat qui le porta au pouvoir le 15 octobre 1987.
Ancien soutien fidèle du président ivoirien Alassane Ouattara, M. Compaoré, qui a depuis obtenu la nationalité ivoirienne, a peu de risques d’être extradé vers le Burkina Faso, le pays n’ayant pas encore aboli la peine de mort.