Odon Vallet, philanthrope de l’éducation au Bénin
Odon Vallet, philanthrope de l’éducation au Bénin
Par Pierre Lepidi
Grâce à la fondation qu’il a créée avec l’héritage de son père, le spécialiste des religions accorde mille bourses par an aux étudiants béninois les plus méritants.
Il vit au milieu des livres dans un appartement discret du VIe arrondissement de Paris. Sur des étagères, quelques statues témoignent de son goût pour les contrées lointaines. Odon Vallet, 69 ans, est l’un des plus grands spécialistes français de l’histoire des religions. Auteur d’une trentaine d’ouvrages, celui qui est également administrateur de la Société des lecteurs du Monde a obtenu deux doctorats en droit et en sciences des religions.
Parallèlement à ses activités d’écrivain et d’enseignant, Odon Vallet est philanthrope. Depuis l’an 2000, la Fondation Vallet qu’il dirige a remis environ 49 000 bourses plurielles à 19 000 étudiants parisiens, vietnamiens et béninois. « Depuis 2003, date de début du programme, nous avons remis près de 5 000 bourses au Bénin, assure-t-il. A la différence des étudiants des écoles d’art en France, les Béninois peuvent garder leur bourse pendant de longues années. Le principe est simple : tant qu’un élève ne redouble pas, il conserve sa bourse. Mais s’il échoue, on la distribue à un autre. Personne ne comprendrait qu’un redoublant perçoive une bourse. »
Famille très pauvre
Ce système, basé sur la méritocratie, a été transmis à Odon Vallet par son père, Jean Vallet. Celui-ci a grandi dans une famille très pauvre des environs de Cluny, en Bourgogne, au début du XXe siècle. En lui dispensant des cours gratuits, le curé du village l’a aidé dans ses études et, après la Première Guerre mondiale, il a pu rejoindre La Populaire, une compagnie d’assurances qu’il a dirigé de 1944 jusqu’à sa mort, survenue lors d’un accident de voiture, en 1954, dans laquelle toute la famille était embarquée.
Jean Vallet laisse alors à sa femme et à ses deux fils, qui ont survécu au drame (Odon Vallet n’a alors que 6 ans), un portefeuille de 5 % des actions de la compagnie. Peu dépensière, la mère d’Odon Vallet n’y touche pas jusqu’au rachat de La Populaire – devenue entre-temps Athena – par la compagnie d’assurances Generali, en 1989. La vente de ce portefeuille d’actions rapporte aux descendants de Jean Vallet 320 millions de francs, soit environ 50 millions d’euros.
« Par tradition familiale, ni mon frère ni moi n’avons jamais été attirés par le grand luxe, raconte Odon Vallet. Je ne pense pas qu’il faille une Rolex pour réussir sa vie… Avec mon salaire d’enseignant et mes droits d’auteur, je perçois entre 5 000 et 6 000 euros par mois, ce qui me suffit largement. » Après une dizaine d’années et le quasi-doublement du capital grâce à de bons placements, l’enseignant crée la Fondation Vallet avec le concours de la Fondation de France. « Mon père, qui a gardé les chèvres, a eu de grosses difficultés pour étudier. Le constat était qu’il n’aurait jamais pu réussir à notre époque, explique-t-il. J’ai donc voulu remettre la promotion sociale au goût du jour. Comme je suis enseignant, je connais bien l’éducation. Si j’avais été médecin, j’aurais probablement créé une fondation médicale. »
« De la médecine de brousse »
Odon Vallet est aujourd’hui un passionné de l’Afrique, qui estime que la France a démissionné de son rôle. « Le déclin a commencé le jour où Jacques Chirac a supprimé le service national, regrette-t-il. La coopération a disparu dans la foulée, alors qu’on a eu jusqu’à 12 000 instituteurs et professeurs. Au Bénin comme ailleurs, il y en avait dans toutes les disciplines et dans tous les lycées. Mais on avait aussi les séminaristes et les internes qui faisaient de la médecine de brousse. La présence de la France en Afrique est aujourd’hui militaire et, même si les soldats français ont fait du bon boulot au Mali, il ne reste que de rares civils, souvent dans l’humanitaire. Pendant ce temps, le Japon construit des écoles qualité “zéro défaut” avec un suivi minutieux des chantiers pour que certains ne se remplissent pas les poches. »
Le choix du Bénin s’explique par le fait que le philanthrope cherchait un pays d’Afrique démocratique et pacifique. Après avoir songé au Sénégal, le spécialiste des religions s’est finalement tourné vers le Bénin, « ce pays magnifique où les catholiques, les protestants et les adeptes du vaudou s’entendent bien, sans animosité. Un pays où, lors de la présidentielle, on prie dans les églises, les mosquées et les temples sans que cela ne dérange personne ».
Trois fois par an, Odon Vallet sillonne le Bénin. Aujourd’hui, ce proche de Lionel Zinsou, économiste battu au second tour de l’élection présidentielle béninoise, connaît parfaitement bien le « terrain » : « Les meilleurs élèves, et de très loin, sont ceux du petit séminaire Notre-Dame de Fatima qui est à Parakou [au centre du pays]. En plus des écoles, la fondation mène des actions dans les prisons de Porto-Novo et Missérété. On a même un mineur, ancien détenu, qui a été reçu au BEPC, ce qui est un vrai miracle : le taux de réussite national à l’examen est de 16 % et dans son collège, il est proche de 0. »
« A cause des écrans »
La fondation est également à l’origine de plusieurs laboratoires de langue pour apprendre notamment l’anglais et l’allemand, et elle a créé six bibliothèques à travers le pays, ce qui en fait le plus grand réseau de bibliothèques de toute l’Afrique francophone. « Nous sommes le seul réseau mondial de bibliothèques dont le public s’accroît de 20 % par an, se félicite-t-il. Partout ça baisse, principalement à cause des écrans. Et n’oublions pas que le taux de succès aux examens, pour ceux qui vont régulièrement à la bibliothèque, est multiplié par 2,5 au bac et 3,5 au BEPC. »
En 2003, lors de la première année du programme béninois, la fondation a offert 300 bourses. Aujourd’hui, 1 040 sont distribuées annuellement aux élèves les plus méritants. Leur montant est de 250 000 francs CFA (380 euros) pour un lycéen collégien et de 500 000 francs CFA pour un étudiant, à laquelle peut s’ajouter une bourse d’Etat pour les plus modestes.
Tite Yokossi, 28 ans, est aujourd’hui doctorant en économie à l’Institut technologique du Massachusetts (MIT). Qui aurait pu prédire que ce natif de Natitingou, dans le nord du Bénin, poursuivrait un jour ses études aux Etats-Unis ? Après l’obtention d’un bac béninois avec mention « très bien » en 2004, le jeune homme, grâce à une bourse de la Fondation Vallet, a intégré le prestigieux lycée Louis-le-Grand à Paris, où il a enchaîné maths sup et maths spé, en deux ans. « J’ai été mis en contact avec Odon Vallet grâce à Michel Le Cornec, un Français résidant au Bénin dont la femme avait lu un article sur ses bourses scolaires, raconte-t-il. La promotion de l’excellence est la priorité de cette fondation qui développe aussi des valeurs d’entraide et de solidarité. » Tite Yokossi se voit d’abord acquérir une expérience professionnelle aux Etats-Unis avant de retourner en Afrique, « où, estime-t-il, il y a d’énormes opportunités à saisir ». Un retour sur investissement que le père d’Odon Vallet n’aurait pas imaginé.