« La Fresque » raconte, par le mouvement, l’histoire d’un jeune homme qui entre dans une fresque par amour pour la femme qui y est peinte. | CONSTANCE GUISSET/JEAN-CLAUDE CARBONNE

Pourquoi vous êtes-vous ­intéressé au jeune public ?

J’ai répondu à la demande d’Emmanuel Demarcy-Mota, directeur du Théâtre de la Ville, de créer un ballet en direction du jeune public car j’adore les commandes. C’est un sport qui m’amuse. La façon dont je pouvais orienter ma danse vers de jeunes spectateurs m’a semblé très intéressante. J’ai imaginé que le projet allait me pousser à régénérer mon vocabulaire, à chercher une nouvelle écriture en allant vers l’épure et la simplicité. Ce qui fut le cas. Pour retrouver une sorte d’émerveillement qui est selon moi propre à l’enfance.

Pour Angelin Preljocaj, l’enfance est souvent « à la source de l’art ». | JOERG LETZ

Vous avez choisi d’adapter « La peinture sur le mur », un conte chinois du XIIIe siècle…

J’ai d’abord voulu échapper au répertoire Grimm et Perrault, souvent mis en scène en France. J’ai déjà chorégraphié Blanche Neige pour le tout public et j’avais envie d’autre chose. J’ai donc cherché et lu des contes asiatiques, indiens, océaniens… J’ai découvert cette histoire chinoise dans laquelle un jeune homme tombe amoureux d’une femme peinte dans une fresque. Il traverse l’image et vit à l’intérieur. J’ai alors pensé à la façon dont, aujourd’hui, les jeunes en particulier sont happés par une réalité virtuelle, comment ils « entrent dans des images » par exemple avec le jeu Pokemon Go.

« Le côté burlesque, grotesque même parfois, des contes asiatiques me plaît beaucoup. »

Cette relation avec le monde actuel m’a séduit. Par ailleurs, le voyage dans une autre dimension transforme l’image en lieu de transcendance. Elle nous renvoie aussi à la caverne de Platon avec ses ombres ­portées qui questionnent notre existence. J’ai eu envie d’explorer ces relations mystérieuses entre la représentation et le réel. Plus généralement, j’apprécie le sens des détails souvent ­anodins, mais en ­réalité très importants, des contes asiatiques ; et leur côté burlesque, grotesque même parfois, me plaît ­beaucoup.

Lors de la création, votre propre enfance vous a-t-elle inspiré ?

Oui, je me suis souvenu de la façon dont, très jeune, je suis en quelque sorte tombé amoureux d’une image du danseur Rudolf Noureev en plein saut. J’étais saisi d’un émerveillement incroyable. Ce regard-là, entre curiosité et fascination, m’a porté dans la façon de concevoir le spectacle. Pour moi, il y a une filiation entre l’enfance, souvent à la source de l’art, et la création. Et j’ai eu envie de redonner à l’enfance une part de mon art comme une offrande.

Les danseurs en répétition. | CONSTANCE GUISSET/JEAN-CLAUDE CARBONNE

Avez-vous été préoccupé par le fait de vous adresser aux jeunes ?

Oui et non. J’ai beaucoup pensé à la question de la ­dramaturgie pour que l’histoire soit très claire. J’avais aussi en tête une certaine idée de la beauté et de la grâce, sans pour autant évacuer les aspects plus sombres, comme l’angoisse, l’obscurité, la peur. J’ai tenté de retrouver un état originel de jeu lié aux enfants. Mais évidemment, à un certain moment, on laisse la danse raconter et avancer d’elle-même, en oubliant à qui le spectacle est destiné. Je crois qu’il faut faire confiance à la compréhension des enfants. D’ailleurs, le spectacle
est pour tous les publics. ­L’histoire passe d’abord par le corps et le mouvement. En travaillant sur l’épure, j’ai plongé dans une sorte de ­plaisir de la danse à l’état presque naïf, et j’ai conservé cette naïveté qui n’est pas ­niaiserie dans le spectacle. Parallèlement, les personnages présents dans le conte m’ont permis d’explorer de nouveaux registres à première vue très éloignés de tout ce que j’ai pu faire jusqu’à présent, comme le grotesque et le fantastique.


La Fresque, d’Angelin Preljocaj, ­costumes d’Azzedine Alaïa, scénographie de Constance Guisset, musique de Nicolas Gaudin. Grand Théâtre de ­Provence, Aix-en-Provence : du 20 au 24 septembre. Opéra Royal du château de Versail­les : du 29 novembre au 4 décembre. Théâtre National de Chaillot, Paris : du 7 au 23 décembre…

Et aussi : Polina, danser sa vie, de Valérie Müller et Angelin Preljocaj, (1 h 52), ­ en salles le 16 novembre.