Jeremy Corbyn avec des sympathisants à Londres, le 20 septembre 2016. | NIKLAS HALLE'N / AFP

La crise profonde qui pourrait entraîner l’éclatement du Parti travailliste britannique s’est aggravée, mardi 20 septembre au soir, lorsque ses instances dirigeantes, en dépit de huit heures de discussion, ont échoué à trouver un compromis sur le mode de désignation des membres du « cabinet fantôme » (shadow cabinet), une réplique du gouvernement chargée de lui porter la contradiction.

Depuis la démission groupée, fin juin, au lendemain du référendum sur le Brexit, des députés qui assurent cette fonction pour protester contre la quasi-absence du leader du parti, Jeremy Corbyn, de la campagne des proeuropéens, le shadow cabinet est aux abonnés absents, et le gouvernement conservateur se frotte les mains. M. Corbyn, confronté à la rébellion d’élus qui contestent ses orientations très à gauche – démantèlement de l’arme nucléaire, porte ouverte aux immigrés, etc. – joue la base.

Ses discours hostiles à l’austérité, favorables à la gratuité des études supérieures et à la nationalisation des chemins de fer séduisent à la fois des jeunes et des militants de gauche en rupture avec le Labour depuis les années Blair. L’enthousiasme qu’il suscite et un nouveau mode de désignation du leader du parti, ouvert aux sympathisants contre le versement d’une somme sur Internet, ont transformé le Labour en parti de masse : 300 000 nouveaux adhérents ont afflué depuis son élection surprise à la tête du parti, voilà tout juste un an, portant les effectifs à 540 000 membres, soit la plus grande formation politique d’Europe.

Parti écartelé

Porté par ce succès populaire, Jeremy Corbyn veut marginaliser les députés, cœur historique du parti depuis sa création, en 1906. Fin juin, 172 des 230 députés ont adopté une motion de défiance à son endroit, tandis que l’essentiel des membres du cabinet fantôme démissionnait. Mais leur tentative de forcer Jeremy Corbyn à jeter l’éponge a tourné court. Certes, une nouvelle élection a été organisée cet été pour tenter de lui trouver un successeur, mais le résultat du scrutin, qui doit être annoncé samedi 24 septembre à Liverpool, en lever de rideau du congrès du Labour, le donnera vainqueur si l’on en croit un sondage qui lui attribue 68 % des voix. Son unique adversaire, le fade député Owen Smith, inconnu jusqu’alors et qui se positionne lui aussi à gauche, ne semble pas avoir percé.

Le Labour est donc plus que jamais écartelé entre la légitimité de ses parlementaires élus en 2015 sur un programme de gauche modéré et celle de militants et sympathisants pro-Corbyn qui prétendent porter « une nouvelle façon de faire de la politique à partir du terrain », qui veulent transformer le vieux parti en « mouvement » , mais qui sont accusés d’être manipulés par des groupes d’extrême gauche, qualifiés de « parasites » par M. Smith. Le désarroi provoqué par le vote pro-Brexit, réalité sur laquelle M. Corbyn reste quasi muet, exacerbe encore un peu plus les tensions.

Fait roi par les nouveaux adhérents – 85 % des nouveaux venus de 2015 ont voté pour lui – et probablement reconduit samedi, le leader risque de ne pouvoir gouverner si les députés continuent de refuser de siéger dans son cabinet fantôme. Les sondages de popularité de M. Corbyn sont les plus calamiteux jamais enregistrés par un dirigeant du Labour dans l’opposition. Cinquante-huit pour cent des Britanniques ont une mauvaise opinion de lui (dont 52 % d’électeurs du Labour) et 23 % seulement le considèrent favorablement. Les élus craignent non seulement d’être entraînés dans cette spirale négative, mais aussi de perdre leur investiture au profit de « corbynistes », du fait du récent noyautage par des militants d’extrême gauche de certaines instances locales, comme à Brighton.

Campagnes de déstabilisation

Lundi, lors d’une de ses très rares apparitions à la BBC, qu’il accuse de l’ignorer, Jeremy Corbyn avait promis de « tendre la main » aux députés pour réconcilier le parti. Une proposition dans ce sens avait été faite, visant à permettre aux députés de participer à l’élection des membres du cabinet fantôme aujourd’hui choisis par le leader. Mais ce compromis destiné à « refaire jouer ensemble l’orchestre » selon l’expression de Tom Watson, adjoint (et adversaire) de M. Corbyn, a finalement été rejeté mardi soir à une faible majorité par le Comité national exécutif (NEC), instance dirigeante du parti. Jeremy Corbyn a accepté d’en discuter, mais après l’annonce des résultats de l’élection du leader, samedi.

Le NEC a seulement pu se mettre d’accord sur une mesure destinée à stopper le récent « tsunami d’insultes » lié à l’usage d’Internet par des militants par l’intermédiaire de comptes anonymes. Les nouveaux adhérents devront signer un engagement à s’abstenir de tels agissements. M. Corbyn qui, en 2015, avait promis une pratique politique « plus aimable », est aujourd’hui accusé de fermer les yeux sur ces campagnes de déstabilisation. Ruth Smeeth, députée Labour du centre de l’Angleterre, a dû être placée sous protection policière après avoir été la cible d’injures pour avoir dénoncé les attaques antisémites qui la visent et proviennent, selon elle, de partisans de M. Corbyn.