L’ex-Front Al-Nosra, pierre d’achoppement des tentatives de « trêves » en Syrie
L’ex-Front Al-Nosra, pierre d’achoppement des tentatives de « trêves » en Syrie
Par Madjid Zerrouky
Le Front Fatah Al-Cham, qui prétend avoir rompu avec Al-Qaida, mais que les Occidentaux continuent de considérer comme terroriste, occupe une place centrale sur l’échiquier rebelle en Syrie. D’où la difficulté à départager « bons » et « mauvais » rebelles.
Des combattants pro-régime patrouillent dans le secteur de Ramussa, dans le sud d’Alep, le 21 septembre 2016. | GEORGE OURFALIAN / AFP
La trêve en Syrie n’aura tenu que sept jours. Lundi 19 septembre, l’armée syrienne a décrété la fin du cessez-le-feu, en accusant les rebelles de ne pas avoir respecté l’accord de cessation des hostilités négocié entre les Etats-Unis et la Russie, le 10 septembre à Genève. Un accord également violé par Damas. Entre autres griefs, la Russie a notamment reproché aux Américains de ne pas suffisamment faire pression sur les groupes rebelles syriens pour qu’ils se dissocient du mouvement djihadiste Fatah Al-Cham, ex-Front Al-Nosra. Ce dernier affirme avoir rompu ses liens avec Al-Qaida, mais est toujours considéré comme un mouvement terroriste par Washington.
L’accord américano-russe – dont les clauses précises étaient restées secrètes – prévoyait que, si la trêve était respectée de façon durable sur les différents fronts syriens, Moscou et Washington procéderaient à des échanges de renseignements en vue de mener des bombardements conjoints contre l’organisation Etat islamique (EI) et le Front Fatah Al-Cham. Mais, si l’EI ne dispose plus d’alliés sur le terrain en Syrie, le cas des djihadistes de Fatah Al-Cham est plus problématique, notamment à cause de sa présence à Alep.
Pari d’un nouvel échec
La partie orientale rebelle de la grande métropole du nord de la Syrie est à nouveau assiégée par l’armée syrienne et ses alliés. Au cours du mois d’août, ce blocus avait été brièvement levé grâce à l’offensive d’une coalition rebelle dirigée par… le Front Fatah Al-Cham. Cette coalition (surnommée l’« Armée de la conquête ») comporte l’autre grande force militaire rebelle, les salafistes d’Ahrar Al-Cham, et une myriade de petits groupes dont certains se revendiquent de l’Armée syrienne libre (ASL), la branche modérée de l’opposition, aidée par les Occidentaux.
Tout l’objectif de la trêve, négociée par les diplomates américains et russes, était d’obtenir qu’Ahrar Al-Cham, tout comme les groupes armés de l’opposition modérée, se dissocient des djihadistes du Front Fatah Al-Cham, permettant ainsi de cibler ce groupe. Mais l’annonce du cessez-le-feu n’avait recueilli qu’une reconnaissance du bout des lèvres, voire des critiques proches du rejet. Dans un communiqué conjoint diffusé le 12 septembre, 21 groupes rebelles ont ainsi dénoncé les menaces américano-russes contre le groupe djihadiste : « Toute attaque contre le Front Fatah Al-Cham ou tout autre faction combattant le régime aurait pour objectif d’affaiblir les forces militaires révolutionnaires et de renforcer celles du régime et de ses alliés. »
Echaudée par l’échec de la trêve de février, violée par les avions du régime comme par ses troupes au sol qui avaient bloqué toute aide humanitaire aux enclaves rebelles assiégées, l’opposition armée pariait sur un nouvel échec de la trêve dans la région d’Alep et sur une reprise des combats à grande échelle. Les groupes modérés et Ahrar Al-Cham n’ont, de fait, ni l’envie ni les moyens de se priver du soutien des djihadistes de l’ex-Front Al-Nosra, fer de lance des opérations offensives et défensives de la rébellion dans la région.
« Piège militaire »
L’élimination, le 8 septembre, du chef militaire de Fatah Al-Cham, Abou Omar Sarakeb, tué dans une frappe aérienne, a été vu comme un exemple de ce qui les attendait par les rebelles syriens. Alors que sa mort a probablement accéléré la conclusion des discussions entre le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, et son homologue russe, Sergueï Lavrov, à Genève, c’est une perte importante pour la rébellion. Abou Omar Sarakeb, tué alors qu’il présidait une réunion destinée à préparer une nouvelle offensive pour rétablir une jonction avec les quartiers assiégés d’Alep, était le coordinateur des opérations militaires de l’Armée de la conquête.
Le Front Fatah Al-Cham, tout comme ses alliés, y a aussitôt vu la preuve d’une conspiration destinée à geler le blocus d’Alep au profit des forces du régime et pousser l’opposition à accepter, sous la contrainte, une trêve en position défavorable. Un « piège militaire destiné à nous tuer encore plus », a ainsi décrit le commandant de la Division 13, un groupe estampillé ASL, aidé par les Etats-Unis et ayant eu maille à partir avec l’ex-Front Al-Nosra au printemps, donc peu suspect de sympathies envers les djihadistes.
Si Alep est le front le plus important et le plus décisif du conflit syrien, il est assez représentatif de l’enchevêtrement de groupes armés aux agendas politiques et aux soutiens internationaux divergents, qui coopèrent ou cohabitent sur les lignes de front face au régime syrien. Dans le nord-ouest du pays, les brigades de l’ASL, l’Armée de la conquête, ou encore les djihadistes ouïgours du Parti islamique du Turkestan tantôt attaquent les fiefs alaouites du régime près de Lattaquié, tantôt défendent la province d’Idlib, contrôlée depuis le printemps 2015 par l’Armée de la conquête, face aux avancées loyalistes.
Dans le centre du pays, des groupes de l’ASL et des djihadistes du Front Fatah Al-Cham et de Jund Al-Aqsa (un groupe qui vient d’être placé par Washington sur sa liste des organisations terroristes) menaient, ces dernières semaines, une offensive commune en direction de Hama, avant de la suspendre. Enfin, dans le Nord, une offensive militaire turque appuie des groupes rebelles syriens dont les alliances, comme les désaccords, illustrent bien le chaos syrien et les contradictions de la politique américaine en Syrie.
Echanges peu amènes
Le 16 septembre, l’arrivée de 25 membres des forces spéciales américaines a ainsi donné lieu à des échanges peu amènes entre deux groupes rebelles, les premiers qualifiant les seconds, qui escortaient les soldats de Washington, de « porcs et d’agents de la coalition croisée qui combat [leurs] frères dans le sud d’Alep ». Une référence au raid – attribué par les rebelles aux Américains – qui a tué Abou Omar Sarakeb au début du mois. Selon Charles Lister, analyste au Brookings Doha Center, le groupe Ahrar Al-Sharqiyeh, qui fait partie de l’Armée de la conquête, dont Abou Omar Sarakeb était le chef militaire, avait pourtant été jusqu’à récemment soutenu et armé par le CentCom (commandement des forces américaines au Proche-Orient)… Ahrar Al-Sharqiyeh a contraint ses anciens parrains américains à rebrousser chemin.
Dans cette cacophonie, les djihadistes du Front Fatah Al-Cham ont eu beau jeu de s’engouffrer dans les brèches ouvertes par l’opacité de l’accord Kerry-Lavrov. Dans un entretien à la chaîne qatarie Al-Jazira, samedi 17 septembre, Abou Mohamed Al-Jolani, le chef djihadiste de l’ancien Front Al-Nosra, s’est fait le chantre de l’unification de toute l’opposition armée face aux tentatives de division fomentées par l’attelage américano-russe. Des tentatives qu’il dit être menées au profit du régime syrien et d’un « projet » chiite qui chercherait à éradiquer les populations sunnites de Syrie.
« Les Américains veulent frapper le Front Fatah Al-Cham, car nous sommes une faction puissante. Après nous, les autres subiront le même sort les unes après les autres », assure Al-Jolani. Une rhétorique qui commence à porter ses fruits, prévient l’analyste syrien Hassan Hassan, coauteur de EI, au cœur de l’armée de la terreur (Hugo Doc, 2015), dans une tribune publiée par le quotidien émirati The National : « Pour beaucoup de Syriens ordinaires, à tort ou à raison, les Etats-Unis ciblent Fatah Al-Cham non pas à cause de son idéologie, mais parce qu’il apparaît comme une force rebelle puissante, estime-t-il. Au final, Fatah Al-Cham pourrait même être le bénéficiaire de cet accord bâclé. »