Roger Ailes, le fondateur de Fox News à Pasadena (Californie), le 24 juillet 2006. | Reed Saxon / AP

Combien de millions de téléspectateurs seront rivés devant NBC lundi 26 septembre ? Ce soir-là, à six semaines de la présidentielle américaine du 8 novembre, Donald Trump affrontera pour la première fois son adversaire Hillary Clinton. Affrontera plutôt que débattra, même si c’est le projet initial. Les débats républicains ont montré que le magnat de l’immobilier ne semble ouvert à la discussion qu’une fois installé sur les dépouilles de ses rivaux.
Quand elle avait diffusé, le 6 août 2015, la première confrontation entre les dix candidats républicains les mieux placés pour remporter l’investiture du Grand Old Party, la chaîne conservatrice Fox News avait battu des records d’audience. Records qui pourraient à nouveau être dépassés ce 26 septembre.

En 2015, le pugilat a probablement rapporté beaucoup d’argent à Fox News, pour le plus grand plaisir de celui qui en était le patron incontesté, et le fondateur, Roger Ailes. Evincé de la chaîne un an plus tard à la suite d’embarrassantes accusations de harcèlement sexuel, cet ancien tout-puissant de la galaxie conservatrice sera aux avant-postes pour le premier débat de la présidentielle, au titre de conseiller particulier de Donald Trump, pas vraiment rebuté par les raisons de son éviction.

Il faut dire que les débats, Roger Ailes connaît. Il y a bientôt cinquante ans, il était déjà à la manœuvre auprès d’un autre candidat républicain, Richard Nixon, qu’il avait croisé sur le plateau d’un programme télévisé qu’il produisait, « The Mike Douglas Show ». En 1968, quelque temps avant l’élection présidentielle, Ailes avait écrit à son intention une note, récemment exhumée de la Nixon Library : « Aujourd’hui, les informations télévisées sont plus regardées que le journal n’est lu ou la radio écoutée (…). La raison en est que les gens sont paresseux. Avec la télévision, on s’assoit, on regarde et on écoute. La réflexion est organisée pour vous. »

Richard Nixon (à gauche) avait été échaudé par son premier débat télévisé avec John F. Kennedy, en 1960. En 1968, il est conseillé par Roger Ailes. | AP/SIPA

Richard Nixon se serait brièvement indigné de ce cynisme avant d’être convaincu que son élection passait par la télévision. L’ancien vice-président de Dwight Eisenhower avait été marqué au fer rouge par son premier débat télévisé avec John F. Kennedy, en 1960. Les archives ont conservé de l’épreuve un Nixon mal à l’aise, le visage perlé de sueur, face à une gravure de mode qui avait appris, elle, à domestiquer la bête.

David Folkenflik, spécialiste des médias de la radio publique NPR, décèle encore l’influence de Roger Ailes en 1984, lors du second débat qui a opposé le président sortant Ronald Reagan au démocrate Walter Mondale. « Je ne vais pas faire de l’âge un sujet dans cette campagne, je ne veux pas exploiter pour des raisons politiques la jeunesse et l’inexpérience de mon opposant », lâche avec superbe le septuagénaire républicain, effaçant en une formule le désastre qu’avait été pour lui le premier débat.

C’est aussi à Roger Ailes qu’est prêtée la gifle assénée en 1988 par George H.W. Bush au journaliste Dan Rather. Alors que le présentateur vedette évoquait l’affaire du financement occulte des Contras – l’opposition anti-sandiniste au Nicaragua – par Washington grâce à des contrats d’armes clandestins avec l’Iran, Bush avait rétorqué que c’est comme si on résumait la carrière de Dan Rather aux sept minutes au cours desquelles il avait disparu de l’antenne sur un coup de colère.

Donald Trump n’a pas été rebuté par les raisons de l’éviction de Roger Ailes. Ce dernier avait perdu son poste à Fox News à la suite d’accusations de harcèlements sexuels.

Cette attaque à la jugulaire annonçait le style de journalisme d’abordage que pratiquera Fox News par la suite au profit d’un positionnement politique d’une pureté de cristal : la destruction du camp démocrate. Après George H.W. Bush, Roger Ailes avait conseillé Rudy Giuliani pour sa candidature à la mairie de New York, puis produit un show radiophonique appelé à devenir la caisse de résonance de l’aile droite du camp républicain, celui de Rush Limbaugh.

Sous son égide, la chaîne Fox News, créée en 1996, devient rapidement l’annexe du Parti républicain, où des candidats à la présidentielle malheureux, de Mike Huckabee à Rick Santorum, pouvaient toujours trouver un rond de serviette. En 2011, comme ce fut révélé un an plus tard, Roger Ailes avait même dépêché un émissaire à Kaboul pour convaincre le général David Petreaus d’être candidat à la présidentielle contre le président Obama.

A 76 ans, que pourra apporter l’ancien patron de Fox News à l’ancienne star de la téléréalité Donald Trump, qui n’a rien à apprendre en matière d’agressivité ? Il n’a connu qu’un seul moment difficile au cours de la dizaine de débats opposant les prétendants républicains qui se sont succédé d’août à mars. Lorsque l’unique candidate à l’investiture, Carly Fiorina, l’a froidement recadré en septembre 2015 après des propos désobligeants, publiés par Rolling Stone, sur son apparence. L’ancienne responsable de Hewlett Packard avait réduit le milliardaire au silence en deux phrases, sans même avoir besoin d’élever la voix. Hillary Clinton saura-t-elle en faire autant ?