Campagne de Sarkozy en 2007 : le soupçon de financement libyen relancé
Campagne de Sarkozy en 2007 : le soupçon de financement libyen relancé
Par Joan Tilouine, Simon Piel
La justice dispose du carnet d’un ex-ministre de Mouammar Kadhafi faisant état de plusieurs versements pour la campagne de Nicolas Sarkozy.
Mouammar Kadhafi et Nicolas Sarkozy, à l’Elysée, en décembre 2007. | PATRICK HERTZOG/POOL/AFP
Les soupçons de financement illégal de la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy par la Libye de Mouammar Kadhafi se renforcent encore un peu plus après la publication, mardi 27 septembre, par le site Mediapart d’une nouvelle pièce mettant en cause l’ancien président. Il s’agit de quelques lignes retrouvées dans le carnet manuscrit d’un ancien haut dignitaire du régime, retrouvé mort noyé dans le Danube en avril 2012, qui mentionnent sans détour les millions d’euros qui seraient partis de la Libye vers la France.
Ancien ministre du pétrole de Mouammar Kadhafi, Choukri Ghanem notait scrupuleusement ses comptes rendus de réunion dans son journal intime. L’une d’entre elles s’est tenue le 29 avril 2007 vers midi, à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest de Tripoli, la capitale libyenne. Dans la propriété de Bechir Saleh, directeur de cabinet de M. Kadhafi, se trouve ce jour-là le chef des services secrets du régime, Abdallah Senoussi, accusé de massacres d’opposants et condamné par contumace en France en 1999 pour sa responsabilité dans l’attentat du DC-10 d’UTA de 1989, qui avait fait 170 morts.
En cet entre-deux-tours de l’élection présidentielle française, ces trois dignitaires du régime évoquent l’aide de la Libye à la campagne de Nicolas Sarkozy. Choukri Ghanem retranscrit dans ses carnets les affirmations de M. Saleh qui dit avoir versé 1,5 million d’euros au candidat de l’UMP. Deux fois moins que Saïf Al-Islam Kadhafi, fils du numéro un libyen et responsable de la Fondation Kadhafi, avec qui la France a négocié la libération des infirmières bulgares en juillet 2007 contre une importante vente d’armement, qui aurait lui versé 3 millions d’euros.
La mort de Choukri Ghanem reste un mystère
A cela s’ajouteraient 2 millions d’euros prétendument transférés par Abdallah Senoussi pour la campagne de M. Sarkozy, écrit M. Ghanem. Selon le récit que ce dernier en fait dans son carnet, les trois hommes se demandent toutefois si les 6,5 millions d’euros sont bien arrivés à destination.
Ces notes ont été communiquées à la justice française et aux enquêteurs de l’Office central de lutte contre la corruption après un long périple. Le carnet de M. Ghanem avait en effet été retrouvé lors d’une perquisition aux Pays-Bas avant d’être transféré en Norvège dans le cadre d’une affaire de corruption impliquant l’ancien ministre.
La justice française a désormais connaissance de ces écrits, qui ont été versés à l’enquête judiciaire. Contacté, Me Thierry Herzog, avocat de Nicolas Sarkozy, n’était pas joignable. Mais dans l’entourage de Nicolas Sarkozy, on ironisait : « J’espère qu’il y a un numéro de compte bancaire sur ces carnets pour permettre d’aller vérifier. En 2012, il était question de 50 millions d’euros, en 2016, 6,5 millions. En 2017, à ce rythme-là, on parlera de 50 000 euros ou de plus rien. »
M. Ghanem n’est plus là pour confirmer et étayer ses écrits. Son corps a été découvert à Vienne, dans le Danube, le 29 avril 2012. L’ancien ministre du pétrole, qui dirigeait aussi la société pétrolière nationale, avait fait défection en 2011 durant la guerre. Après une escale à Rome, il s’était secrètement installé en Autriche où il bénéficiait d’une protection des autorités. Les enquêteurs autrichiens ont conclu à une noyade accidentelle à la suite d’une crise cardiaque. Mais sa mort, le lendemain de la publication par Mediapart d’un premier document, reste encore aujourd’hui un mystère.
A l’époque, Mediapart avait dévoilé un document faisant état d’un accord de principe noué entre le clan Kadhafi et l’équipe Sarkozy, pour un financement à hauteur de 50 millions d’euros. Document dont l’authenticité a toujours été contestée par M. Sarkozy et son entourage, mais dont la justice n’a pu établir qu’il s’agissait d’un faux. L’ancien président avait porté plainte contre le site mais la justice a rendu un non-lieu dont il a fait appel.
« Pas au courant »
Une information judiciaire contre X a été ouverte le 19 avril 2013 pour « corruption active et passive », « trafic d’influence », « faux et usage de faux », « abus de biens sociaux », « blanchiment, complicité et recel de ces délits ». Et ce, suite aux dépositions faites par l’intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine auprès du juge Van Ruymbeke, après qu’il eut été interpellé au Bourget, de retour de Libye, avec 1,5 million d’euros en espèces dans une valise. M. Takieddine était un proche de M. Ghanem avec qui il a discuté d’importants contrats pétroliers. « Choukri détenait de lourds secrets financiers et politiques d’ordre corruptif qui pouvaient déstabiliser la droite française », dit aujourd’hui au Monde l’ancien intermédiaire.
Dans cette affaire, l’ancien secrétaire général de M. Sarkozy à l’Elysée, Claude Guéant, a été mis en examen pour faux, usage de faux et blanchiment de fraude fiscale en bande organisée en raison d’un virement de 500 000 euros reçu sur son compte qu’il a peiné à justifier. L’ancien ministre avait assuré sans convaincre qu’il avait reçu cet argent en paiement de la vente de deux tableaux, dont de nombreux experts ont assuré ensuite qu’ils valaient beaucoup moins.
Récemment, plusieurs protagonistes de cette affaire ont été convoqués par la justice. Bechir Saleh, aujourd’hui établi en Afrique du Sud et qui aurait participé à la réunion citée par M. Ghanem, ne s’y est pas rendu. Contacté par Le Monde, il assure : « Je ne suis pas au courant de cette réunion, ça ne me dit rien. » La justice française a tenté, en vain, de l’entendre par visioconférence. Selon son avocat, l’Union européenne a gelé ses comptes et l’interdit de séjour en Europe.
M. Saleh avait été exfiltré de France vers le Niger par l’homme d’affaires et intermédiaire Alexandre Djouhri, une opération montée en lien avec Bernard Squarcini, alors patron de la Direction centrale du renseignement intérieur. Il réside aujourd’hui à Johannesburg dans une villa octroyée par le gouvernement, sous l’étroite surveillance des services de renseignement sud-africains, et de M. Djouhri qui, selon nos informations, s’y est rendu à l’improviste en juin 2015 pour s’assurer que M. Saleh ne s’exprimerait pas.
M. Djouhri, officiellement établi en Suisse, n’a pas non plus honoré sa convocation le même jour. « Monsieur Alexandre », comme il est surnommé, est soupçonné d’être au cœur des complexes montages financiers entre la Libye et la France. Ni lui ni son avocat n’ont souhaité donner suite aux sollicitations du Monde.