A Nice, le 16 janvier 2016. | Lionel Cironneau / AP

Le marathon de Nice aura-t-il bien lieu ? A un mois et demi de l’événement, Pascal Thiriot le reconnaît, il est « inquiet ». Le président d’Azur sport organisation (ASO), ne cache pas ses craintes de voir annulée l’une des plus grandes courses de l’année en France. Depuis vendredi 23 septembre, sur le site Internet de l’épreuve, les nouvelles inscriptions sont suspendues, dans l’attente d’en savoir plus concernant la tenue ou non de la manifestation sportive.

La veille, jeudi 22, lors d’une réunion avec la préfecture des Alpes-Maritimes, les organisateurs d’ASO ont eu la désagréable surprise de constater que celle-ci n’était pas satisfaite, exigeant un dispositif sécuritaire plus important autour de la course. « La préfecture ne nous a pas rassurés. Nous n’avons aucune garantie », résume au Monde M. Thiriot, préoccupé. « Eu égard au niveau de menace, nous avons demandé un renforcement considérable », a expliqué François-Xavier Lauch dans Nice-Matin, mercredi 28 septembre.

« Ne pas se mettre à genoux »

Prévue pour le 13 novembre, soit un an jour pour jour après les attentats de Paris et du Stade de France et quatre mois après celui de Nice, le 14 juillet, le marathon des Alpes-Maritimes revêt une forte charge symbolique. « Il faut montrer qu’on doit se redresser et non pas se mettre à genoux, estime Pascal Thiriot. Ce n’est pas possible. »

Créée en 2008, l’épreuve a rassemblé quelque 12 000 participants l’an dernier, dont 6 603 arrivants au terme des 42,195 kilomètres de la course phare. Celle-ci traverse sept communes : Nice, Saint-Laurent-du-Var, Cagnes-sur-Mer, Villeneuve-Loubet, Antibes Juan-les-Pins, Vallauris Golfe-Juan et Cannes. Dix mille personnes environ se sont déjà engagées pour l’édition 2016, dont « environ 2 500 étrangers ».

Jeudi 29 septembre, lors d’une nouvelle réunion dans la matinée, la préfecture doit décider si elle autorise la tenue de l’événement. « Les services de l’Etat ont une position ouverte, a tenu à rassurer François-Xavier Lauch dans les colonnes de Nice-Matin. Nous avons fixé les préconisations. Nous verrons jeudi si elles sont tenables ou pas. » Des « préconisations » plutôt lourdes : un véhicule et un policier armé – municipal ou national – à chaque carrefour, des zones de départ et d’arrivée entièrement sécurisées… Une chose semble déjà acquise : le départ n’aura pas lieu depuis la promenade des Anglais, comme c’était le cas avant, mais du stade de l’Allianz Riviera.

« Nous sommes capables d’assurer toute la partie matérielle, avec les signaleurs, avance M. Thiriot, comme on l’a fait jusqu’à maintenant. Là où nous n’avons pas la maîtrise, c’est sur la mise à disposition de policiers. Tout le monde veut que ça se fasse, la balle est dans le camp de la préfecture. Il y a une cotation qui va être faite par les polices municipales sur le manque d’effectifs nécessaires et qui doit être comblé par de la police nationale. » L’organisateur estime qu’il faudrait « environ 4 escadrons » en plus des effectifs de polices municipales.

Si M. Thiriot s’inquiète, c’est que le contexte des derniers mois n’incite pas vraiment à l’optimisme. Le 20 septembre, la Fédération française de triathlon a annoncé que le triathlon Nice-Côte d’Azur, prévu les 1^er et 2 octobre et qui devait accueillir les championnats de France, était annulé. Quelques semaines auparavant, le 5 août, le maire de Nice, Philippe Pradal, avait annoncé l’annulation des championnats d’Europe de cyclisme sur route, un « événement consommateur important de forces de l’ordre », initialement prévu dans sa ville du 14 au 18 septembre. L’épreuve a finalement eu lieu à Plumelec, en Bretagne.

« Environ 8 % » des courses annulées en France

Quel que soit son issue, le cas niçois, particulièrement sensible, illustre les difficultés rencontrées par de nombreux organisateurs de courses hors stade ces derniers mois. Chaque année, en France, 10 000 manifestations sportives de ce type sont organisées, de la petite course de village réunissant quelques dizaines de participants aux immenses rassemblements de plusieurs dizaines de milliers de joggeurs.

Les semaines suivant les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, plusieurs courses avaient été annulées. Notamment en région parisienne, où le semi-marathon de Boulogne-Billancourt et la Corrida d’Issy-les-Moulineaux, deux des principales manifestations de fin d’année, réunissant chacune presque 10 000 personnes, n’avaient finalement pas eu lieu. « Mais ce n’était pas énorme, relativise Jean-Jacques Godard, président de la commission nationale des courses hors stade de la Fédération française d’athlétisme (FFA), d’autant plus qu’on n’était pas dans la saison la plus active. C’est devenu très tendu depuis le 14 juillet. »

S’il attend encore les remontées des chiffres exacts, le dirigeant de la FFA estime qu’« environ 8 % » des courses en France ont été annulées ces derniers mois. Certaines l’ont été par la préfecture, comme ce fut le cas lors de la braderie de Lille, « en accord avec la proposition de la mairie ». Une décision qui a signifié d’importantes pertes financières pour l’Association de promotion des événements sportifs lillois, organisatrice de la manifestation. Parfois, les mauvaises surprises sont très tardives, comme à Joinville, en Haute-Marne, à la mi-septembre. Une « petite catastrophe pour l’organisateur puisqu’il a reçu la nouvelle de la préfecture le vendredi après-midi pour le dimanche », explique M. Godard. D’autres annulations ont été directement décidées par les mairies, comme à Suresnes (Hauts-de-Seine), au début de septembre.

« Fort Knox »

De nombreuses courses ont été maintenues, mais souvent au terme d’efforts considérables. Le cas du marathon de Tours, cadre des derniers championnats de France de la distance, le 18 septembre, en est une illustration éclairante. « Quinze jours avant, une grosse réunion de sécurité à la préfecture d’Indre-et-Loire a été organisée pour mettre en place un système de sécurité très serré afin de pouvoir organiser le championnat et les courses autour, avec en tout plus de 10 000 coureurs, détaille M. Godard. On l’a sauvé. Cela a nécessité de la part des organisateurs de sécuriser 170 carrefours, avec des voitures en travers, des kilomètres de barrières Heras, ces barrières très hautes, avec la police, avec la gendarmerie. On était dans Fort Knox à l’intérieur des zones de départ et d’arrivée. » Un déploiement de moyens qui a un coût : le budget des organisateurs a dû être augmenté de « 55 000 euros environ », simplement concernant ces aspects sécuritaires.

A Marcq-en-Barœul, dans le Nord, à quelques foulées de Lille, les championnats de France de semi-marathon auront également lieu, le 2 octobre, moyennant une rallonge budgétaire de « 33 000 euros », selon Jean-Jacques Godard, qui estime « cela va se répercuter fatalement sur les prix d’inscription dans les prochaines courses ».

Les organisateurs semblent comprendre les impératifs de sécurité dans le contexte actuel, mais les efforts consentis sont lourds. « On a un peu cette espèce de compromis, analyse Jean-Marc Fresnel, président de Paris-Versailles association : oui, j’ai des surcoûts, mais les mesures qui nous sont imposées sont indispensables. Je parle en tant que citoyen : quand je mets 25 000 personnes à un endroit donné, si jamais j’ai un pépin, je tiens à avoir ma conscience tranquille en ayant mis le maximum de moyens pour la sécurité. »

Les « courses moyennes », réunissant entre 1 000 et 2 000 participants, sont souvent les plus touchées, car elles ne disposent pas d’un budget suffisant pour faire face à ces nouvelles demandes sécuritaires. Mais ce sont surtout les annulations de courses aussi importantes que celles de Lille et du semi-marathon de Nancy qui sont difficiles à digérer. « En course à pied, on a un peu de mal à comprendre qu’on soit très impactés sur ces problèmes de sécurité, estime M. Godard, quand on voit quelques grand-messes non sportives qui ont lieu sur la voie publique. » Pascal Thiriot, lui, souligne une différence de traitement entre Paris et Nice : « Le week-end du 25 septembre, vous avez eu la course Paris-Versailles, avec 25 000 coureurs, la course de Mickey (semi-marathon d’Eurodisney) avec 16 000 partants, la Techno parade, avec 300 000 participants, Paris sans voiture avec je ne sais combien de kilomètres de rues fermées, et là, les moyens de police ont été mis en place. Nous, nous demandons simplement les moyens de police sur 42 kilomètres, et on ne serait pas capable de nous les donner ? »

La réponse devrait tomber jeudi en fin de matinée. Les commerçants de la région niçoise ont déjà souligné dans la presse locale le manque à gagner que pourrait représenter une annulation : « environ 10 millions d’euros ».