LETTRE DE TOKYO

Une femme ? Soit. C’est dans l’air du temps. Mais est-elle authentiquement Japonaise ? Telle est la question retorse que posent la presse nipponne de droite et les internautes de cette mouvance à la suite de la récente nomination de Renho Murata à la tête du Parti démocrate du Japon (PDJ), première formation d’opposition.

Il est difficile d’attaquer la nouvelle présidente en tant que femme alors que le premier ministre, Shinzo Abe, proclame promouvoir une « société dans laquelle les femmes brillent » en favorisant leur progression dans le monde professionnel.

A bien petits pas, la parité avance : une femme, Yuriko Koike, a été élue gouverneur de Tokyo en juillet et une autre, Tomomi Inada, a été nommée le même mois à la tête du ministère de la défense.

Aussi, les détracteurs de Mme Murata ont-ils choisi d’attaquer sur un autre registre, plus pernicieux par ses implications nationalistes : est-elle une « vraie » Japonaise ?

Renho Murata, honnie par la droite

Ancienne vedette de télévision, sénatrice depuis 2004, la nouvelle présidente du PDJ est née d’un père Taïwanais et d’une mère Japonaise. Non conformiste, elle n’utilise dans sa vie publique que son prénom Renho (prononciation japonaise de son prénom chinois) et non le patronyme de son mari (Murata).

N’ayant pas renoncé à la nationalité taïwanaise à l’âge de la majorité (20 ans) en pensant que son père l’avait fait lorsqu’elle était devenue Japonaise à 17 ans, elle a la double nationalité dans un pays où le principe d’une seule nationalité reste ancré (sans être formellement interdite par la loi).

Au-delà du problème juridique, la polémique ouverte par la droite est révélatrice de la prégnance de la question toujours latente de la pureté du sang qui nourrit le mythe de l’homogénéité ethnique et culturelle des Japonais.

Le PDJ, affaibli après un passage au pouvoir (2009-2012) peu concluant, marqué par des revirements et la gestion désastreuse de la catastrophe nucléaire de Fukushima, en mars 2011, n’est pas la préoccupation majeure de la droite, renforcée par la présence à la tête du gouvernement de Shinzo Abe qui en est issu.

Mais Mme Murata est irritante dans un monde politique resté un bastion du sexisme : pugnace, pourfendeuse des conservateurs et des bureaucrates, elle est honnie par la droite pour son adresse à porter l’estocade au cours les débats télévisés.

Une figure avec laquelle il faudra compter

Afin de tenir compte du recul du sexisme dans les jeunes générations, les partis jouent la carte féministe espérant ramener aux urnes un électorat qui les boude. Longtemps, seuls les communistes et les sociaux-démocrates, formations mineures, avaient tendu à la parité : le Parti socialiste (aujourd’hui social démocrate) avait été un pionnier en la matière en choisissant Takako Doi comme présidente en 1986.

A la tête du premier parti d’opposition, Renho Murata devient une figure avec laquelle il faudra compter. Et tous les moyens sont bons pour la discréditer.

Les attaques de femmes sur leurs origines ne sont pas nouvelles : c’est le cas des dernières « Miss Japon ». Nées de couples de nationalité différente, elles sont hafu (de l’anglais « half ») vocable qui désigne dans la langue parlée les métisses.

Les élections d’Ariana Miyamoto (Miss Universe Japan, 2015), dont le père est Afro-Américain et la mère Japonaise, et de Priyanka Yoshikawa (Miss World Japan 2016) de père Indien et de mère Japonaise, ont suscité des polémiques : les deux jeunes femmes sont-elles à même d’incarner la beauté japonaise ?

Beaucoup de célébrités du monde de la mode et du show-biz sont « hafu ». La diversité est prisée dans ces milieux mais elle suscite des grincements de dents lorsqu’il s’agit de représenter le Japon ou de pouvoir accéder à des fonctions gouvernementales.

Une identité japonaise idéalisée

Dans le cas de la nouvelle présidente du PDJ, « ce n’est pas tant la question de la nationalité qui est en jeu que sa loyauté à l’Etat, estime la politologue Mari Miura, spécialiste des questions du genre, de l’université Sophia à Tokyo. Elle n’apparaît pas assez loyale au pays pour briguer un jour le poste de premier ministre ». Ce qui pourrait être le cas : les premiers ministres sont généralement le président du parti majoritaire.

Les préjudices attachés à la mixité ethnique ou à la double nationalité sont symptomatiques de la prégnance dans le Japon du XXIe siècle du grand mythe de l’après-guerre : « l’homogénéité du peuple japonais » (tanitsu minzoku).

Face à l’épreuve de la modernité et surtout de la défaite, le camp conservateur a cherché à assurer la cohérence nationale en cultivant une identité innée, immémoriale et idéalisée tendant à voiler les malaises provoqués par le fulgurant redressement économique « en entretenant un ordre latent de guerre froide qui fait que toute personne d’une autre nationalité est un ennemi », écrit dans le quotidien Asahi, le constitutionnalisme Atsushi Kondo de la Meijo University.

Pour Shizuko Ueno, sociologue, professeur honoraire à l’université de Tokyo, « la double nationalité d’une personne n’est pas un signe de déloyauté potentielle mais au contraire un gage de paix car une moitié d’elle-même ne peut pas combattre l’autre moitié ». Beau message mais difficile à faire passer.