« A 30 ans, j’ai choisi de me convertir au judaïsme »
« A 30 ans, j’ai choisi de me convertir au judaïsme »
Par Clara Georges
Qu’est-ce qui a poussé Isabel Sanchez, 37 ans, fondatrice d’une start-up, mariée et mère de deux enfants vers la religion juive ?
Une femme juive orthodoxe se drape dans son châle de prière (talit) devant le Mur des Lamentations, à Jérusalem. | GALI TIBBON / AFP
« Cette religion, j’y suis arrivée grâce à mon mari, mais la décision de me convertir est individuelle et profondément intime. Quand j’ai rencontré Michael, en 2001, je ne connaissais rien au judaïsme. J’arrivais d’Espagne, où j’ai grandi, pour passer une année Erasmus à Paris. Ce que je savais, c’est qu’il y avait eu une communauté juive en Espagne, mais le moins qu’on puisse dire, c’est que les manuels scolaires ne s’étendent pas sur le sujet. Donc, au bout d’une semaine, quand Michael m’a dit qu’il était juif, je lui ai demandé en plaisantant : “Ça veut dire quoi, au juste ? Fais-moi un résumé rapide du judaïsme.” Ça l’a beaucoup fait rire.
J’ai découvert les fêtes, les coutumes, qui ont éveillé ma curiosité, et j’ai commencé à me documenter. La famille de Michael m’a tout de suite accueillie comme sa propre fille, et j’ai fêté avec eux le shabbat, Pessah, Roch Hachana. C’est là que je me suis aperçue d’une chose surprenante : ces rites me rapprochaient de chez moi. Ils me rappelaient l’Espagne.
Les fêtes juives ressemblent un peu aux grandes réunions de famille que j’ai connues, où il y a sans cesse du bruit, du mouvement, des chants. A l’église catholique, les psaumes sont souvent tristes, tandis que les chants séfarades de shabbat ont du rythme, ils sont mélodieux comme les chants traditionnels de ma région. Je me suis sentie chez moi. Et puis j’ai retrouvé le goût de mon enfance, au sens propre : à Pessah, par exemple, on mange des pâtisseries à base d’amandes et de pignons, presque comme le mazapan. En me renseignant, j’ai découvert que beaucoup de spécialités culinaires espagnoles sont en fait un héritage de la cuisine juive. Le cocido, un plat du dimanche robuste aux pois chiches, pommes de terre, viande et légumes, qui cuit pendant des heures, je l’ai retrouvé en mangeant la dafina ici.
La transmission par la gastronomie
Ce plaisir culinaire, il est très important pour moi qui suis passionnée de gastronomie. Je l’ai vite partagé avec mon père, qui était chef de cuisine. Lui qui est agnostique s’est à son tour plongé dans la littérature sur le judaïsme, et il est tombé amoureux de ce passé de l’Espagne qu’il ne connaissait pas. Pour ma mère, cela a été – et reste – plus difficile. Elle m’a élevée dans la religion catholique : catéchisme, baptême, communion… Quand je lui ai annoncé que Michael était juif, elle m’a mise en garde, elle était inquiète pour moi, pour le changement que cela représentait. Le fait que Michael ait une mère d’origine polonaise et un père d’origine marocaine lui a fait peur aussi, elle a pensé qu’il risquait de se comporter comme un macho. Vous savez, en Espagne, les juifs sont encore beaucoup caricaturés ; on ne parle d’eux que pour dire qu’ils dominent le monde, ou bien qu’ils ont été persécutés.
Mais de mon côté, j’ai découvert une telle liberté, un tel libre arbitre dans cette religion ! Je suis seule avec ma conscience, seule face à mes choix. Quand j’étais enfant, je voyais la religion comme une menace : j’avais peur de devoir me confesser, peur d’être punie, je me sentais perpétuellement coupable. Cette culpabilité-là n’existe pas dans le judaïsme. Chacun fait comme il l’entend et sait pourquoi il agit. Tel que je le vois, c’est davantage une philosophie qu’une croyance inébranlable. Le doute est permis, y compris sur la nature même de Dieu et son influence sur le monde, et il m’arrive de m’interroger.
Cela ne m’empêche pas de vivre mon judaïsme de manière très intense, sans doute plus intense que certains juifs de naissance. C’est pour ça que Michael et moi nous sommes disputés à propos du mariage. Il préférait que je me convertisse, mais je ne comprenais pas cette nécessité, qui me semblait aller à l’encontre du principe de liberté. Michael a entendu mes arguments, et il a annoncé à son père que nous allions nous marier civilement. C’est là que j’ai eu un déclic. Puisqu’il avait franchi le pas de l’annoncer à sa famille, je savais que je ne le faisais pas par obligation, et j’ai décidé de me convertir.
Une mise à l’épreuve de la volonté
Je me suis adressée au mouvement libéral, parce que les préceptes du judaïsme orthodoxe ne me conviennent pas. Il me semble qu’ils autorisent moins de doutes, de questionnements, et je ne voulais pas être surveillée dans ma pratique. Pendant un an et demi, j’ai suivi des cours plusieurs fois par semaine auprès d’une jeune femme rabbin, qui nous éclairait sur l’origine des pratiques, qui nous encourageait à débattre. J’ai appris à lire l’hébreu ancien, préparé les fêtes, pris des cours de cuisine. Puis, quand je me suis sentie prête, j’ai écrit une longue lettre – c’est la coutume – pour demander à « passer la conversion », devant le Beth Din. C’est un examen écrit et oral, qui porte à la fois sur l’histoire, les textes et les traditions. Et c’est une mise à l’épreuve de notre volonté face à un jury de rabbins. Lorsqu’ils ont prononcé la phrase rituelle en hébreu – “vous appartenez au peuple juif”, j’ai été envahie d’un sentiment inexplicable. C’est l’un des événements les plus importants de ma vie.
Nous nous sommes finalement mariés en Espagne, dans un jardin, avec le rabbin qui avait assuré ma formation – car là-bas il n’y a ni synagogue ni rabbin. Ma mère n’était pas contente, elle avait peur du qu’en-dira-t-on, mais ça s’est très bien passé… même sans jambon serrano, ce qui est une hérésie chez moi ! Aujourd’hui, nous avons deux enfants, que nous élevons dans le judaïsme, mais aussi dans la connaissance et le respect du catholicisme. Je tiens à ce qu’ils fêtent Noël en Espagne, ainsi que la fête de la Vierge dans ma ville natale, en costume traditionnel.
Mon choix, je ne le regrette jamais, et je sais que je ne l’ai pas fait par amour, ou pour quelqu’un d’autre. En revanche, j’appréhende de plus en plus souvent de dire que je suis juive, et il est même fréquent que je le cache, alors que cela ne m’aurait jamais traversé l’esprit au début. J’en ai assez qu’on me questionne sur le conflit israélo-palestinien. Assez qu’on ne comprenne pas mon choix, assez de devoir me justifier. Et depuis les attentats de janvier 2015, j’ai peur pour ma famille, pour mes enfants. C’est un sentiment que je déteste, et je me bats contre moi-même pour ne pas l’éprouver, mais j’ai tout le temps peur. »