« Nous, Médecins du monde, sommes tous des Médecins d’Alep »
« Nous, Médecins du monde, sommes tous des Médecins d’Alep »
A Alep se joue la survie d’un peuple. Mais qu’attend la communauté internationale pour ouvrir les yeux et réagir face à cette situation qui s’apparente à un massacre de masse ?
Un docteur s’occupe d’un syrien qui a du mal à respirer, le 6 septembre. | THAER MOHAMMED / AFP
Par des membres de Médecins du monde
Alep… où bientôt, ne resteront plus que les cadavres de ses habitants qui n’auront pas pu fuir, pas pu se protéger. Depuis presque trois mois, les quartiers Est de la ville font l’objet d’un siège odieux qui ne leur donne pas d’autre choix que de tenter de partir pour éviter la famine. Depuis ces derniers jours, ces quartiers subissent des bombardements incessants, de plus en plus puissants, forts et tellement dévastateurs que l’intervention massive de l’aviation russe et l’utilisation d’armes à sous-munitions ne font aucun doute.
De son côté, le régime intervient au sol, soutenu par ses alliés et des groupes armés dans une grande offensive terrestre pour reconquérir l’Est de la ville. Aucun compte n’est tenu des populations civiles qui seront massacrées tant que les rebelles tiendront ces zones, ces rebelles qu’ils veulent anéantir impitoyablement et au plus vite. Vite avant que la communauté internationale ne se décide enfin à réagir devant ce massacre ignoble. Sinon, il sera probablement trop tard.
Chaque jour, une centaine de personnes meurent, pour la plupart des civils. Sans compter les milliers de blessés, qui finiront aussi par mourir ou resteront gravement et définitivement mutilés, car il ne reste presque plus de structures de santé qui puissent les prendre en charge. Dans cette partie de la ville où 300 000 habitants survivent, il ne reste que 4 hôpitaux, qui fonctionnent dans des conditions extrêmement difficiles. La trentaine de médecins héroïques qui ont survécu et qui sont restés est dans l’impossibilité d’exercer des soins adaptés. Les blessés affluent, emmenés par des proches ou par les volontaires des « casques blancs » qui, à chaque bombardement, se ruent pour les sortir des gravats et pour leur apporter les premiers secours.
Massacre de masse
Certaines opérations sont réalisées à même le sol, faute de médicaments ; des amputations de sauvetage sont réalisées sans anesthésie, de nombreux blessés meurent d’hémorragie car il n’y a plus de poches de sang pour les transfuser, les appareils manquent ou sont à l’arrêt, il n’y a plus d’électricité depuis des mois et l’essence manque pour faire fonctionner les générateurs. Ces médecins, ces braves, se résignent à sauver ceux qui ont le plus de chance de survivre pendant que d’autres meurent sous leurs yeux. Quelle folie que ces scènes d’horreur qui sont le quotidien de ces derniers médecins qui résistent. Ils savent qu’ils sont ciblés et au moindre bombardement, sont terrifiés à l’idée qu’ils risquent d’être les victimes du suivant. Leur vie ne tient qu’à un fil, mais ils restent pour ne pas abandonner ces centaines de civils qui affluent chaque heure, et dont le seul espoir de survie repose sur eux. Mais pour combien de temps encore ?
Ils sont abandonnés face à la brutalité inouïe et à l’obstination des forces russes et du régime, qui n’ont que faire de notre indignation, de l’opinion internationale et des menaces de la Cour pénale internationale pour non-respect du droit international humanitaire ou de toute autre convention qui régit les règles de la guerre. Il leur faut à tout prix, et par tous les moyens, gagner cette guerre par les armes. Cette guerre qui ne respecte plus aucune règle. L’utilisation d’armes chimiques n’arrive même plus à mobiliser l’opinion mondiale. Cette stratégie militaire affame les populations encerclées et bombarde des structures de santé. Son objectif est de faire fuir les populations de quartiers où tout ce qui leur permet de survivre est systématiquement détruit. Pour ces bourreaux machiavéliques, il faut coûte que coûte remporter cette bataille d’Alep, et au diable les accusations de crime contre l’humanité !
Mais qu’attend la communauté internationale pour ouvrir les yeux et réagir face à cette situation qui s’apparente à un massacre de masse ?
STOP, il est de notre devoir, nous, Médecins du monde, de dénoncer avec force cette escalade de la violence qui se fait dans l’impunité la plus totale !
Abandon d’un peuple
Nous Médecins du monde sommes tous des Médecins d’Alep. Nous ne pouvons pas tolérer que nos confrères et les Aleppins soient pris pour cible dans ce jeu macabre.
Nous demandons à la communauté internationale de réagir immédiatement et vigoureusement face à cette urgence absolue pour :
- mettre fin aux bombardements des civils qui doivent être protégés par une force indépendante d’interposition.
- mettre fin au siège des villes, au ciblage des personnels et des convois humanitaires et à la destruction des structures de soins, pour permettre un accès immédiat et sans conditions à l’aide internationale. Les humanitaires doivent pouvoir mener à bien leur mission en étant en conformité avec le droit international humanitaire.
- mettre fin à l’utilisation d’armes non conventionnelles.
Si notre morale et notre indignation défaillent et si nous ne faisons rien, d’autres massacres vont se perpétrer. Il faut immédiatement réagir, les Aleppins sont décimés. Nous ne pouvons pas continuer à ignorer l’urgence à intervenir, l’urgence à protéger les civils et les humanitaires. Notre silence serait complice. Sinon, nous porterons tous l’insoutenable responsabilité de l’abandon d’un peuple.
Docteur Françoise Sivignon, présidente de Médecins du monde, Docteur Gérard Pascal, responsable Mission Syrie à Médecins du monde, Fyras Mawazini, responsable Mission Syrie à Médecins du monde, Julien Bousac, membre du conseil d’administration chez Médecins du monde, Quentin Peiffer, responsable de desk chez Médecins du monde