Futurs agriculteurs : « On ne pourra plus vivre comme nos parents »
Futurs agriculteurs : « On ne pourra plus vivre comme nos parents »
Par Laura Buratti
Très conscients de la crise qui frappe actuellement le monde paysan, les élèves du lycée agricole de Marvejols, en Lozère, rêvent d’une autre agriculture, loin du modèle parental.
David, étudiant en BTS agricole au lycée Terre Nouvelle, passe un licol à 2114, la seule vache du troupeau de la ferme-école dont personne n'arrive à retrouver le prénom. | Laura Buratti
Dans une petite salle de classe de Marvejols (Lozère), les élèves du lycée agricole catholique Terre nouvelle racontent le quotidien difficile de la vie à la ferme. Fils ou filles d’agriculteurs pour 80 % d’entre eux, ils ont connu dans leur enfance des parents travaillant douze heures par jour, semaine et week-end compris, et peinant à s’en sortir financièrement.
A quelques jours de l’ouverture du Salon de l’agriculture, ils racontent la pression écrasante des distributeurs et des grandes surfaces, la surproduction, la chute des prix, la lourdeur administrative imposée par l’Europe et l’investissement financier qu’impose la mise aux normes. Sans compter l’augmentation du nombre de suicides.
Pourtant, dans ce département qui est à la fois le moins peuplé de France mais aussi celui à l’altitude moyenne la plus élevée, les agriculteurs sont relativement préservés par la crise agricole. Les versants pentus des montagnes du Gévaudan empêchent toute agriculture intensive. Ici, les troupeaux de vaches et de moutons pâturent en semi-liberté. Un mode de vie privilégié qui néanmoins ne leur épargne pas les sacrifices.
Au lycée agricole catholique de Marvejols, en Lozère, les lycéens ne s'imaginent pas vivre de la même façon que leurs parents, mais continuent à rêver au métier d'agriculteur. | Laura Buratti
« Cet été, nous avons réussi à partir une semaine en vacances en famille. C’était la première fois depuis longtemps, raconte Laura, l’une des rares jeunes filles du lycée, étudiante en terminale sciences et technologies de l’agronomie et du vivant (STAV). Et encore, on a failli annuler au dernier moment parce qu’une vache était malade. »
Ses camarades de terminale, qui passent cette année un bac technologique STAV ou un bac professionnel conduite et gestion de l’exploitation agricole (CGEA) acquiescent. « On a toujours le stress à propos des animaux, lâche Gildas, élève en CGEA. Il m’est déjà arrivé de devoir quitter les cours pour aller rattraper des vaches qui s’étaient échappées. »
Malgré tout, la plupart d’entre eux ne se sont jamais imaginés faire autre chose de leur vie. « Ce n’est pas un métier, c’est une passion ! », lancent-ils tous. « Ils ne viennent pas ici forcés, confirme Christine Audeguin, la directrice de l’établissement, qui connaît par cœur les 220 élèves de son lycée. Les parents préféreraient peut-être qu’ils fassent autre chose mais, pour eux, le rapport à la terre et aux animaux est essentiel. »
Julien, élève en STAV, rêve de vendre du matériel agricole, après un BTS technico-commercial. Laura se passionne quant à elle pour l’élevage des chevaux. Plus tard, après un BTS de production animale, elle se voit bien diriger sa propre exploitation. Alexandre, 21 ans, rêvait de devenir soigneur animalier en parc zoologique. « Depuis, j’ai changé d’avis, je veux être agriculteur. Etre mon propre patron, suivre tout le temps les mêmes animaux, avoir un contact plus proche de la nature, c’est comme soigneur, mais en mieux ! », s’enthousiasme-t-il.
Lors de leurs BTS agricole, les étudiants du lycée Terre Nouvelle apprennent à estimer très précisément l'âge d'une brebis rien qu'en observant ses dents. | Laura Buratti
« Pur pragmatisme »
Certes, le métier d’agriculteur les fait rêver, mais ils savent déjà qu’ils devront repenser le modèle parental. « Ce n’est pas une vie ! On ne peut plus vivre comme nos parents… », lance l’un d’entre eux. Jean, en terminale CGEA, ne se voit pas reprendre seul une exploitation : « C’est trop dur d’investir, explique-t-il. Je préférerais être salarié ou m’associer avec d’autres agriculteurs, au moins au début. » Ces dernières années, pour rester concurrentielles, les exploitations ont dû s’agrandir : de 20 % en moyenne entre 2003 et 2013, d’après le ministère de l’agriculture. Les éleveurs ont souvent recours à des salariés pour les seconder, une bonne opportunité pour ces jeunes qui ne se sentent pas les reins assez solides pour reprendre l’exploitation de leurs parents ou qui souhaitent simplement s’ouvrir à d’autres expériences avant de se lancer seuls.
« Certains d’entre eux envisagent d’accompagner l’exploitation de leurs parents vers une agriculture biologique, observe Daniel Buffière, enseignant en économie, économie agricole et gestion au lycée Terre nouvelle depuis plus de trente ans. Ce n’est pas par idéalisme, comme il y a quelques années, mais par pur pragmatisme : les exploitations bio sont devenues bien plus rentables que les autres. » Alexandre aimerait diriger une petite exploitation qui lui permette de développer la vente directe. Il n’exclut pas de créer une maison d’hôtes, pour faire découvrir son métier au public et partager sa passion.
Côté personnel, hors de question pour ces jeunes de finir dans l’émission « L’amour est dans le pré », qui aide des paysans esseulés à trouver une compagne. « Une femme, ça ne l’attire pas, un homme qui travaille tout le temps et qui stresse parce que sa vache est malade, analyse Gildas, qui voudrait trouver une compagne « aussi à l’aise en bottes qu’en talons hauts ».
Aurore, étudiante en BTS agricole à Marvejols en Lozère, repousse la paille comme une vraie agricultrice, bien que son rêve soit plutôt de devenir fauconnière. | Laura Buratti
Des disparités grandissantes entre les agriculteurs
Durée : 01:58