A Johannesburg : « Camarades, luttons pour une éducation gratuite, de qualité, et décolonisée »
A Johannesburg : « Camarades, luttons pour une éducation gratuite, de qualité, et décolonisée »
Par Sébastien Hervieu (Johannesburg, correspondance)
L’autorisation donnée aux universités sud-africaines d’augmenter leurs frais a déclenché un mouvement de protestation qui ne s’effoufle pas.
Face-à-face tendu mercredi 5 octobre à l’université de Witwatersrand de Johannesburg (dite Wits). Sur les marches du principal bâtiment du campus, une cinquantaine d’étudiants, majoritairement blancs, assis silencieusement devant d’imposantes colonnades, aimeraient étudier. Des pancartes sont brandies, avec l’inscription manuscrite : « les frais d’inscription doivent tomber, pas l’éducation ! ».
Autour d’eux, des dizaines d’autres étudiants dansent et chantent : « l’éducation gratuite maintenant ! ». L’un d’eux déchire un carton des bons élèves. Quelques invectives. Sous la pression, la petite troupe qui veut reprendre les cours dès que possible quitte le champ de bataille.
Heurts violents entre policiers et étudiants lors de manifestations à Johannesburg
Durée : 01:11
« Moi aussi, je suis pour que l’éducation supérieure soit gratuite pour tous, mais ce n’est pas faisable dans l’immédiat, il ne faut pas pour autant empêcher ceux qui veulent étudier de le faire ! » dénonce Chey Ramalho, étudiante en droit de 23 ans.
Une hausse pourtant limitée à 8 %
Depuis deux semaines et demie, les cours sont suspendus dans la prestigieuse université sud-africaine en raison d’un mouvement de protestation étudiant. Celui-ci a été déclenché par le feu vert accordé par le gouvernement, le 19 septembre, aux établissements universitaires pour qu’ils augmentent leurs droits d’inscription en 2017. Une hausse limitée à 8 %, deux points de plus que l’inflation actuelle.
Depuis, la majorité des universités dans le pays a subi des perturbations, parfois avec des échauffourées violentes. Plusieurs d’entre elles ont dû fermer leurs portes temporairement.
« Nous sommes la majorité silencieuse et nous en avons marre d’être intimidés » s’énerve Pervania Pillay. La future juriste a lancé sur les réseaux sociaux le mouvement #TakeWitsBack (ReprendreWits). « Je dois être diplômée à la fin de cette année, mais si ça continue, il n’y aura pas d’examens de second semestre fin octobre, et il faudra que je repaie pour étudier l’an prochain alors que ça coûte déjà cher ».
#WitsFeesMustFall students speaks emotionally.
"Where are the police? It's because they are white" #TakeWitsBack https://t.co/17pyW3JGpt
— raediology (@raeesa pather)
Les 33 000 inscrits à Wits devaient reprendre les cours mardi, mais des affrontements ont éclaté sur le campus entre manifestants et policiers. Pendant plusieurs minutes, les forces de l’ordre ont tiré des grenades assourdissantes, des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes. Certains jeunes ont répondu par des jets de pierres. Des blessés ont été signalés de part et d’autre.
Sacrifier un semestre pour la prochaine génération ?
« Les problèmes de financement de l’éducation ne peuvent pas justifier la violence et les destructions de biens » avait mis en garde lundi le président sud-africain, Jacob Zuma. Il y a un an, après un mouvement massif de protestation, le chef d’Etat avait finalement dû céder et accepter de geler la hausse des frais universitaires pour 2016.
Zipho Tile, 25 ans, ne comprend pas la réponse officielle, qu’il juge exclusivement sécuritaire. Mais pour lui, le combat en vaut la peine : « nous pouvons bien aller jusqu’à sacrifier un semestre pour améliorer le sort de la prochaine génération, insiste-il, le gouvernement nous dit qu’il n’a pas assez de fonds, mais il y a tant d’argent gaspillé avec la corruption et la mauvaise gestion ! ».
Le ministre de l’éducation supérieur s’est engagé à venir en aide financièrement l’an prochain aux enfants des familles les plus pauvres. La plupart des étudiants en grève se montrent incrédules face à cette promesse.
Parmi les 200 à 250 manifestants qui entament une marche sur le campus, suivis de près par des agents de sécurité d’une société privée, une étudiante de 22 ans en quatrième de comptabilité, fait ses comptes. « J’ai obtenu une bourse de l’Etat, mais elle ne paie qu’une partie des 33 000 rands (2 100 euros) que coûte mon année d’études, et il faut ajouter le logement, la nourriture… », déplore la jeune femme noire originaire de la province côtière du KwaZulu-Natal. Elle préfère rester anonyme. « Je suis la première de ma famille à aller à l’université, mes parents se saignent pour financer mes études, mais comment feront-ils quand il y aura en même temps mes deux sœurs et mon frère ? » s’interroge-t-elle.
S’adressant aux manifestants, Vuyani Pambo, l’un des leaders du mouvement, rappelle que les frais d’inscription ne sont pas l’unique motif de mobilisation. « Camarades, luttons pour une éducation gratuite, de qualité, et décolonisée » s’écrie-t-il. « Combien d’entre vous tremblaient comme une feuille quand ils sont arrivés dans cet établissement qui a toujours privilégié les Blancs ? Combien ont encore aujourd’hui le sentiment de ne pas être à leur place à cause de leur couleur de peau ? » Les murmures d’approbation parcourent la foule monochrome.