Fancy Bears : l’AMA met (discrètement) en cause le CIO
Fancy Bears : l’AMA met (discrètement) en cause le CIO
Par Clément Guillou
Retraçant l’historique de la crise, l’Agence mondiale antidopage rappelle que la faille de sécurité est venue de comptes gérés par le CIO, avec qui elle est en conflit ouvert.
MARC BRAIBANT / AFP
En apparence, ce n’est qu’une phrase anodine dans un long communiqué, publié mercredi 5 octobre au soir, retraçant l’historique de la fuite de centaines de documents confidentiels de la lutte antidopage et les mesures prises depuis par l’Agence mondiale antidopage (AMA). Mais elle veut dire beaucoup dans le contexte de conflit ouvert entre l’agence et le Comité international olympique (CIO), qui codirige l’AMA avec les gouvernements.
« Le Comité international olympique détenait les pleins pouvoirs administratifs sur ce compte [compte créé pour Rio 2016 sur la plate-forme interne Adams]. A titre d’administrateur du compte, le CIO a créé des accès supplémentaires à celui-ci pour les personnes intervenant dans l’administration du programme antidopage durant les Jeux, y compris deux comptes pour des représentants de l’AMA qui faisaient partie du programme d’observateurs indépendants (OI) de l’Agence pour les Jeux olympiques de Rio 2016. (…) Selon les équipes techniques et d’informatique judiciaire de l’AMA, un intrus aurait accédé à un compte Adams créé pour Rio 2016 entre le 25 août et le 12 septembre 2016, après avoir obtenu illégalement les informations d’identification de l’un des utilisateurs ciblés. »
L’AMA rappelle ainsi opportunément que c’est un compte géré par le CIO qui a été piraté par les Fancy Bears, qui ont ainsi pu accéder aux autorisations thérapeutiques de tous les athlètes engagés à Rio.
Le CIO n’a-t-il pas suffisamment mis en garde les détenteurs d’accès au système Adams ? A-t-il ouvert ce compte à trop de personnes ? Sans même les énoncer, encore moins y répondre, ces hypothèses découlent de ce paragraphe qui ouvre le long résumé de l’affaire.
Le CIO précisera ses intentions samedi
Un agent de la lutte antidopage confie même qu’étant donné le climat actuel, une dernière hypothèse est envisageable :
« Le mobile, c’est de décrédibiliser l’AMA. Au point où on en est aujourd’hui, et maintenant que l’on sait ce qui s’est passé, on peut tout imaginer. Y compris que le CIO et les Russes aient fait cause commune pour dézinguer l’AMA. »
Cette fuite massive d’AUT, qui a pour conséquence de rompre le contrat de confiance entre les athlètes et l’AMA et de pointer les manquements de l’agence dans la vérification de ces autorisations thérapeutiques, est en effet un menhir dans le jardin de l’AMA.
Et survient au moment où le CIO souhaite redéfinir ses prérogatives, contre son gré. Ces dernières semaines, des membres du CIO éreintent publiquement l’AMA et ne se privent pas d’utiliser la fuite des Fancy Bears à ces fins, quitte à maquiller la réalité. Sergueï Bubka, membre du comité exécutif du CIO, parle ainsi du « piratage du système Adams de l’AMA » (ce qui n’est pas techniquement exact) dans un long plaidoyer contre l’action de l’agence.
Le CIO pourait, à l’occasion de son prochain sommet olympique, samedi 8 octobre, à Lausanne, recommander la création d’une nouvelle agence chargée de l’antidopage, des matches truqués et de la corruption dans le sport, sur laquelle elle garderait le contrôle.
Une structure dont la création affaiblirait encore davantage l’AMA.
Des AUT falsifiées par les Fancy Bears
Dans son communiqué, l’AMA révèle par ailleurs qu’une nouvelle tentative de hameçonnage (ou phishing en anglais, ou harponnage en québécois) a eu lieu la semaine dernière sous la forme de courriels envoyés prétendument par le directeur général adjoint de l’agence.
Elle affirme enfin que certains documents publiés par les Fancy Bears ont été modifiés, sans préciser la proportion ni la nature de ces falsifications. L’AMA ne précise pas si elle fait référence à la poignée d’AUT dévoilées grossièrement affublées d’un logo « Rio 2016 » alors qu’elles remontent à plusieurs années, ou si d’autres ont été falsifiées plus discrètement.