Essai clinique à Rennes : l’Agence nationale de sécurité du médicament mise en cause
Essai clinique à Rennes : l’Agence nationale de sécurité du médicament mise en cause
Par Paul Benkimoun
L’ANSM aurait édulcoré son rapport interne remis au ministère de la santé, sur l’essai qui a causé la mort d’un volontaire de 49 ans.
Le laboratoire Biotrial à Rennes, où a été mené l’essai clinique, le 16 janvier. | LOIC VENANCE / AFP
Selon l’enquête préliminaire menée par les gendarmes de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp), révélée par Mediapart lundi 10 octobre, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a réécrit en l’édulcorant le rapport d’une enquête interne qui montrait qu’elle avait négligé une alerte au moment d’autoriser l’essai d’une molécule du laboratoire Bial baptisée BIA 10-2474. Un volontaire de 49 ans, Guillaume Molinet, qui avait participé en janvier aux tests de première administration chez l’homme de cette molécule est décédé. Plusieurs autres volontaires avaient éprouvé des effets indésirables.
Selon le site d’information, la « version officielle est une fabrication ». Le directeur général de l’ANSM, Dominique Martin, a été convoqué, lundi soir, en urgence au ministère de la santé. Dans la foulée, l’agence a publié un communiqué de presse démentant ces accusations.
Le jour où l’accident mortel de Rennes est annoncé – lors d’une conférence de presse donnée le 15 janvier par la ministre de la santé Marisol Touraine –, le directeur adjoint de l’agence, François Hébert, « met en place une cellule de crise et charge Cécile Delval, directrice de l’évaluation, de mener une enquête interne », pour répondre aux questions que l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) posera dans le cadre de la mission qu’avait déclenchée la ministre.
« Alerte »
Le rapport rédigé par Cécile Delval fait alors état de discussions internes à l’agence et une version définitive est transmise à l’IGAS. Selon l’enquête des gendarmes, le terme d’« alerte » est remplacé par « points d’attention » et le texte ne mentionne pas « le fait que l’évaluateur clinique [chez l’homme], Jean-Louis Demolis, a ignoré le signal de l’évaluatrice non-clinique [chez l’animal] ». Le Figaro avait publié le 13 avril le rapport écrit par Cécile Delval. Quelques jours plus tard, cette dernière avait quitté l’ANSM mais avait affirmé que cela n’était pas en lien avec la publication de son rapport.
Toujours en avril, le rapport de l’IGAS ne retenait pas de fautes de la part de l’ANSM qui avait autorisé cet essai en juin 2015. Il estimait cependant que « l’économie d’ensemble du protocole et la latitude laissée pour sa mise en œuvre n’offraient pas un cadre suffisant pour la protection des personnes participant à l’essai ».
L’une des questions que l’instruction en cours aura à examiner consistera à déterminer si la rubrique « alerte » dans laquelle l’évaluatrice non-clinique a fait figurer la toxicité chez l’animal dans le dossier transmis à l’évaluateur clinique constituait un motif de ne pas entamer d’essai chez l’homme ou bien si, comme le fait remarquer un pharmacologue interrogé par Le Monde, il s’agit d’une mention destinée à ne pas omettre de surveiller cet aspect lors d’un essai clinique.
L’ASM « dément catégoriquement »
Dans son communiqué, l’ANSM « dément catégoriquement avoir caché quelque information, document ou rapport, relatifs à l’instruction du dossier tant à l’IGAS qu’aux autorités judiciaires ». Le communiqué souligne que « des experts indépendants ont examiné la totalité du dossier de fond (informations précliniques, toxicologiques et pharmacologiques) et ont estimé qu’aucun élément dans les données que le Comité scientifique spécialisé temporaire a étudié ne constituait un signal de nature à contre-indiquer le passage chez l’homme ».
Ce comité composé d’experts réunis par l’ANSM pour analyser le dossier scientifique du BIA 10-2474 avait rendu son rapport le 18 avril 2016 et l’agence l’a mis en ligne sur son site. Il signalait une toxicité retrouvée dans les quatre espèces animales chez lesquelles le BIA 10-2474 avait été initialement testé à très forte dose et notamment les effets nocifs sur le système nerveux central, analogues à ceux du principe actif du cannabis, le THC. Selon, Mediapart, l’évaluateur clinique ayant examiné le dossier avant l’octroi de l’autorisation de procéder à l’essai chez l’homme a expliqué aux gendarmes de l’Oclaesp que ces toxicités « étaient observées à des concentrations très supérieures prévues chez l’homme et ne nécessitaient pas de modifier le protocole ».
L’ANSM rappelle « son engagement à ce que toute la lumière soit faite sur ce drame et participera, comme elle le fait toujours, à la manifestation de la vérité avec la justice ». L’ensemble des documents, y compris les différentes étapes du rapport interne dont la première version a été rédigée par Cécile Delval ont été remis aux enquêteurs. A l’issue de l’enquête préliminaire, le parquet avait ouvert une information judiciaire courant juillet, confiée à des juges d’instruction du pôle santé publique.