Viggo Mortensen, le téméraire
Viggo Mortensen, le téméraire
M le magazine du Monde
Dans « Captain Fantastic », en salles le 12 octobre, l’Américano-Danois incarne un père qui élève ses enfants en retrait de la société. Un rôle sur mesure pour cet acteur – et éditeur – engagé.
Parallèlement à sa carrière d’acteur, Viggo Mortensen dirige une maison d’édition alternative, où il publie notamment des brûlots contre l’impérialisme américain. | Vincent Desailly pour M Le magazine du Monde
Lorsque Viggo Mortensen arrive à se calmer, c’est seulement au volant d’une voiture. En traversant l’Espagne, où il réside (à Madrid, précisément) une partie de l’année avec son épouse, ou bien l’Idaho, pour se rendre à sa résidence de Sandpoint, dans le nord-ouest des États-Unis, l’autre centre de gravité de l’acteur américain, à l’affiche de Captain Fantastic à partir du 12 octobre.
Avant de devenir comédien au début des années 1990 dans Massacre à la tronçonneuse III – il avait alors déjà 32 ans –, Viggo Mortensen a été chauffeur de poids lourds, livreur de fleurs, et docker au Danemark. Déplacer des palettes l’apaisait autant qu’accumuler les kilomètres sur la route : une routine bienvenue, la garantie de hiérarchiser les choses et de ne penser à rien.
L’ordre ou le chaos
Canaliser ce qui frappe à la porte de son cerveau, effectuer un tri, lui est devenu indispensable. « C’est cela, ou bien je perds la tête. Il y a l’ordre, aussi imparfait soit-il, et le chaos, c’est-à-dire la mort. La mort me fout la trouille. » Dans sa tête s’entrechoquent images ou pensées éparses. Que devient le club de football de San Lorenzo depuis que l’acteur a tourné Jauja (2014) à Buenos Aires ? Où en est un autre club, le Fulham Football Club, actuellement en deuxième division du championnat anglais ?
D’autres moments surgissent anarchiquement de son esprit. Le jour où il a, par exemple, renversé un cerf sur une route en Nouvelle-Zélande lors du tournage du Seigneur des anneaux. Viggo Mortensen a dépecé l’animal puis l’a fait cuire au feu de bois.
Dans le film de Matt Ross, Ben (Viggo Mortensen) vit dans la forêt avec ses enfants qu’il éduque selon les idées du penseur Noam Chomsky. Jusqu’au jour où le retour à la civilisation est inéluctable… | Kathy Kanavy/Bleecker Street
Il y a enfin ce jour où Matt Ross lui a proposé le rôle-titre de Captain Fantastic : un père qui élève ses six enfants en marge de la société, jouant à la fois les rôles de mentor, d’adjudant et de précepteur, avec pour seul modèle le linguiste et philosophe d’extrême gauche Noam Chomsky. Tous les ans, la famille célèbre d’ailleurs religieusement l’anniversaire du penseur.
En mai dernier à Cannes, où le film était présenté dans la catégorie Un certain regard, Viggo Mortensen avait cette image – la journée Noam Chomsky – en tête. « En me proposant le rôle, le metteur en scène m’avait envoyé un carton avec une dizaine de bouquins, censés être les livres de chevet de mon personnage, Autopsie des terrorismes, les attentats du 11-Septembre et l’ordre mondial de Noam Chomsky, Divertir pour dominer, la culture de masse contre les peuples (collectif) ou encore Une histoire populaire des États-Unis de 1492 à nos jours de Howard Zinn. Sauf que je les avais déjà lus. Prendre ce rôle consistait à endosser un costume taillé sur mesure. Rien à voir avec le fait, par exemple, d’interpréter Freud pour A Dangerous Method de David Cronenberg. »
Une édition alternative qui a du cachet
Viggo Mortensen aime le rappeler : il a deux métiers. Acteur et éditeur. Il a créé en 2002 une maison d’édition, Perceval Press, en hommage au chevalier des légendes arthuriennes, comme pour signifier qu’il tient à aller où personne ne va… L’acteur a réinvesti ses cachets de la trilogie du Seigneur des anneaux de Peter Jackson dans la création de cette maison d’édition artisanale et alternative où il publie ce que bon lui semble, y compris ses recueils de poèmes. Il a gagné suffisamment d’argent pour ne plus courir après le premier rôle venu, et s’est convaincu qu’à la tête d’une telle entreprise, située à Santa Monica, près de Los Angeles, et dont il confierait en partie les clefs à son plus jeune frère, il donnerait un autre sens à sa vie.
Ses objectifs sont modestes, une dizaine de livres par an, tirés à 2 000 exemplaires, vendus par correspondance. « En revanche, je m’offre le luxe de passer les ouvrages au peigne fin, avec un cure-dent si nécessaire, en offrant la garantie à mes auteurs qu’ils ne seront jamais trahis. »
La page d’accueil du site de Perceval Press — composée d’articles de presse repris de sites d’information alternatifs dénonçant la guerre en Syrie, Donald Trump, les multinationales de l’agro-alimentaire ou les mesures économiques imposées pour combler la dette grecque — donne le ton, et délimite un univers dans lequel Captain Fantastic garderait ses repères.
Le mode de vie alternatif que le personnage de Viggo Mortensen offre à ses enfants dans « Captain Fantastic » fait écho aux ouvrages que l’acteur édite. | J. Scott Applewhite - AP Photo
Parmi les ouvrages de son catalogue, des brûlots anti-impérialistes, US Future States Atlas de Dan Mills, qui soutient la thèse d’une Amérique toujours plus belliqueuse et envahissante, ou Just Another War de Kenneth Jarecke et d’Exene Cervenka, un livre de photos sur la guerre du Golfe en 1991, l’un des ouvrages dont il reste le plus fier.
La question de la répartition des compétences au sein de son équipe s’est toujours posée. Tout le monde veut consacrer son temps à l’éditorial. L’acteur comprend, lui, qu’il gère une entreprise. « Il faut gagner un peu d’argent, démontrer des compétences commerciales. C’est une évidence. Sauf que personne chez nous, pas même moi, ne possède ces compétences. »
La menace Alzheimer
L’acteur avait 11 ans lors du divorce de ses parents. Sa mère, américaine, avait rencontré son père, Viggo Peter Mortensen, en Norvège. Dans la tradition danoise, un fils prend le nom de son père. On n’ajoute jamais le perturbant « junior » à la suite de son patronyme. Aucune marque de déférence ou d’antériorité : un fils remplace son père. « Ou plutôt se substitue à lui », précise l’acteur. Viggo Mortensen et ses deux frères ont grandi en Argentine, puis le couple s’est séparé. La mère a alors pris ses enfants à Watertown, une petite ville du Massachusetts. Le père a, de son côté, bourlingué, « beaucoup bu », croit deviner l’acteur, avant de se poser à son tour à Watertown, qui lui rappelait son Danemark natal.
Après Cannes, le comédien prévoyait d’y retourner pour voir son père. Aujourd’hui, ce dernier se trouve sur le point de mourir, atteint de démence, de type Alzheimer. La même maladie a emporté la mère de l’acteur il y a un an. « Je me dis souvent qu’il serait logique de subir le même mal. C’est un souci. Que je gère en me convainquant qu’une fois malade, je n’aurai plus conscience des effets. »
La bande-annonce de « Captain Fantastic » de Matt Ross
CAPTAIN FANTASTIC Bande Annonce VF (Viggo Mortensen, 2016)
Durée : 02:48
A voir : Captain Fantastic, de Matt Ross, avec Viggo Mortensen, Frank Lagella. (1 h 58) En salles le 12 octobre.