LA LISTE DE NOS ENVIES

Les films catastrophe ont beau être passés de mode, l’apocalypse déclenchée par l’explosion de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon fait un excellent thriller. Et dans un documentaire touchant, Bertrand Tavernier se livre à une sorte de bilan existentiel.

LE GRAND RETOUR DU FILM CATASTROPHE : « Deepwater », de Peter Berg

Deepwater Horizon (2016) – Official Movie Teaser Trailer (vostfr)
Durée : 02:23

Les films catastrophe sont passés de mode. Le temps où les spectateurs étaient prêts à trembler par millions pour un avion gros-porteur (Airport), un navire de croisière (L’Aventure du Poséidon) ou un gratte-ciel en flammes (La Tour infernale), à condition qu’ils fussent fictifs et emplis de stars, est passé depuis bientôt quarante ans. Les catastrophes, elles, n’ont pas renoncé, attendant leur heure pour retrouver le chemin des écrans.

Celui-ci passe par la pandémie de films « inspirés de faits réels ». Quoi de plus réel qu’une éruption, un séisme, une tempête ? Quoi de plus réel que la catastrophe qui détruisit, le 20 avril 2010, la plate-forme d’exploration et de forage pétroliers Deepwater Horizon ?

Le scepticisme que pouvait inspirer sa reconstitution par le producteur Lorenzo Di Bonaventura – dû, entre autres, à sa volonté affichée de ne pas évoquer les conséquences apocalyptiques de l’accident sur l’environnement – se dissipe au fil d’un récit d’une clarté pédagogique exemplaire, qui allie les figures les plus classiques du cinéma américain aux images saisissantes d’un gigantesque objet industriel brusquement pris de folie. Cette apocalypse instantanée dont les conséquences se feront sentir pendant des décennies fait, comme l’avaient calculé ses promoteurs, un excellent thriller. C’est aussi un reflet terrifiant de la folie humaine. Thomas Sotinel

« Deepwater », film américain de Peter Berg. Avec Mark Wahlberg, Kurt Russell, Gina Rodriguez, John Malkovich, Kate Hudson (1 h 47).

PORTRAIT DE L’AUTEUR EN CINÉMANIAQUE : « Voyage à travers le cinéma français », de Bertrand Tavernier

Voyage à Travers Le Cinéma Français - Bande Annonce Officielle HD
Durée : 01:23

De Bertrand Tavernier, on connaît l’œuvre de fiction (éclectique et engagée) et le goût du cinéma américain, qui l’a mené à écrire quelques ouvrages qui font référence sur le sujet.

Ce qu’il tente aujourd’hui avec ce documentaire est d’un ordre plus trouble. Il s’y agit à la fois de se raconter soi-même et d’imager une histoire du cinéma français. De convoquer ici un parcours personnel, de livrer là une analyse des films en bonne et due forme. L’exercice, un peu funambulesque, prend le risque de laisser le spectateur sur sa faim, tant sur le plan du dévoilement intime que sur celui de l’histoire raisonnée du cinéma national.

Ce qu’on sent le plus sûrement dans ce film si particulier, et il faut le dire si touchant, c’est qu’à 75 ans, ce cinéphile enragé a décidé de se livrer à une sorte de bilan existentiel, et que la meilleure façon qu’il ait trouvée, parce que la plus sincère, est d’écrire cette histoire avec les images des films qu’il affectionne. Voilà bien une idée de cinémaniaque, qui voit dans les fantômes de la toile l’illusion décisive qui le constitue comme être de sentiment et de mémoire. Jacques Mandelbaum

« Voyage à travers le cinéma français », documentaire français de Bertrand Tavernier (3 h 11).

LE NÉORÉALISME RENCONTRE LA COMÉDIE ITALIENNE : « Du Soleil dans les yeux », d’Antonio Pietrangeli

Irene Galter dans "Du Soleil dans les yeux", d'Antonio Pietrangeli | Copyright Les films du Camelia

Courte carrière que celle d’Antonio Pietrangeli, nouveau repêchage italien ramené des profondeurs des archives. Médecin de formation, puis critique de cinéma, il commence sa carrière comme scénariste, avec notamment Luchino Visconti (Les Amants diaboliques, 1943) et Roberto Rossellini (Europe 51, 1952).

Son parcours de réalisateur proprement dit, qui se situe à mi-chemin du néoréalisme et de la comédie italienne, compte une dizaine de longs-métrages, réalisés entre 1953 et 1968, date à laquelle il se noie accidentellement sur son dernier tournage.

On découvre aujourd’hui son tout premier film en tant que réalisateur, Du soleil dans les yeux. Et, du même coup, son thème de prédilection : le fourvoiement de la jeune provinciale attirée par la grande ville où ne l’attend que désillusion et humiliation.

Nous sommes en 1953, quelque chose mute, y compris dans le cinéma italien, comme en témoigne ce mélo social qui met en scène la montée à Rome de Celestina, beau brin de fille naïve et croyante, quittant à contrecœur son village de Castelluccio (Ombrie) pour trouver du travail dans la capitale. L’Eglise et ses œuvres, incitant ses ouailles à la soumission et au respect des mœurs, y fait office d’agence de placement, discrètement dépeinte par Pietrangeli comme une force qui marche main dans la main avec un ordre social sans foi ni loi.

La famille où est placée la jeune fille y est montrée en plein déménagement, dans un immeuble flambant neuf, dans le plus grand énervement et la plus grande mesquinerie. Un couple de petits-bourgeois qui s’agite et vocifère, tout à la joie de montrer son ascension et la nécessité conséquente de rabrouer immédiatement la jeune provinciale placée chez lui. Avec cette nouvelle place, Celestina inaugure une sorte de chemin de croix qui va la soumettre aux perversions de la grande ville, la jeter dans le désespoir et corrompre in fine son propre tempérament. Le manichéisme de ce schéma est évidemment la limite du film, qui vaut surtout pour la coupe sociale qu’il offre du pays, à travers ses divers personnages. J. M.

« Du Soleil dans les yeux », film italien d’Antonio Pietrangeli. Avec Irène Galter, Gabriele Ferzetti, Paolo Stoppa (1 h 43).

DOUCE ETHNOGRAPHIE DE LA FRANCE D’HIER : « La Boucane », « Jean-Jacques » et « Marcel, prêtre », de Jean Gaumy, en DVD

Le Cinéma de Jean Gaumy - La Boucane - Extrait 3
Durée : 01:37

Il est probable que le nom de Jean Gaumy éveille moins de réminiscences chez les cinéphiles que chez les amateurs de photographie. Né en 1948 à Royan (Charente-Maritime), ce membre de l’agence Magnum, honoré à deux reprises par le prix Nadar, réalise des reportages en prison, dans l’Iran de la Révolution islamique ou à bord de toutes sortes de navires, qui assoient sa réputation.

Son travail cinématographique, plus rare et moins repéré, diffusé à la télévision plutôt que sur grand écran, n’en mérite pas moins un attentif détour. En témoignent les trois titres principaux de sa filmographie (La Boucane, 1985, Jean-Jacques, 1987, Marcel, prêtre, 1994) qu’on trouve réunis sur un DVD aux éditions Montparnasse.

La Boucane est réalisé en 1985 dans une fabrique de harengs fumés à Fécamp (Seine-Maritime). Photographiée treize ans plus tôt par le réalisateur, la conserverie vit probablement ses derniers jours artisanaux. Une dizaine de femmes aguerries et joyeuses y découpent les harengs en filet avec une prodigieuse efficacité.

Gaumy filme les gestes du travail, les lieux, les visages, enregistre les conversations enjouées ou railleuses, sans dissimuler la dureté du travail. « Le décor est pourri mais l’ambiance est sympa », résume une blonde pimpante, entre deux caisses de poissons qui se déversent sur l’établi. Comme le vin, il semble que tous les films de Gaumy prennent de la bouteille avec le temps. Le réalisateur n’y cherche jamais l’intrigue, mais la présence des êtres et de leurs lieux si bien qu’ils se révèlent aujourd’hui comme un précieux morceau d’ethnographie d’une France révolue et pourtant pas si lointaine. J. M.

« La Boucane », « Jean-Jacques » et « Marcel, prêtre », réunis sur un DVD aux Ed. Montparnasse.