Gerard Piqué lors du match de qualification pour le Mondial 2018 contre l’Albanie, le 9 octobre. | GENT SHKULLAKU / AFP

C’est « la goutte d’eau qui fait déborder le vase, a annoncé Gerard Piqué, dimanche 9 octobre après le match qui a opposé l’Espagne à l’Albanie (2-0 pour la Roja). Le Mondial en Russie sera ma dernière compétition [avec la sélection espagnole]. J’ai perdu l’envie de concourir là où on ne veut pas de moi. »

La « goutte d’eau » évoquée par le footballeur de 29 ans, défenseur central du FC Barcelone et joueur de la Roja depuis 2009, c’est le flot d’insultes déversé contre lui pendant le match, sur les réseaux sociaux, pour avoir coupé son tee-shirt à manches longues.

Pour les néophytes, un geste a priori banal, sans importance. Au pire, une faute de goût. En revanche, pour ses détracteurs, son geste relève presque du crime de lèse-majesté et cache une sombre intention : celle de renier son pays en évitant sciemment d’arborer les couleurs rouge et or de l’Espagne qui apparaissent sur le bord des manches des tee-shirts à manches courtes de la sélection. « Il a coupé le drapeau ! » : Internet s’enflamme. Les injures pleuvent…

Quand Gerard Piqué s’en rend compte, à la fin du match, il perd les nerfs. Sérieux, nerveux, visiblement très agacé, il va expliquer aux journalistes qu’il n’a fait que couper les manches du tee-shirt à manches longues qu’il a l’habitude de porter car elles le gênaient. Et que sur celui-ci, les bandes rouges et or, n’apparaissent tout simplement pas. « Très fatigué » de « ne pas se sentir le bienvenu, » il annonce alors sa prochaine retraite internationale… Il a « perdu patience ».

Depuis dimanche, donc, l’Espagne est en émoi. Au royaume du football, cette polémique n’en finit pas de susciter des commentaires et des heures de débats sur les radios et les chaînes de télévisions généralistes. Et toute la presse, ou presque, est unanime pour défendre un joueur, qui, hier encore, était honni par la moitié d’entre elle. Le journal sportif As a publié un éditorial pour lui demander de revenir sur sa décision. Le premier quotidien espagnol, Marca, a titré « Tous avec Piqué ». Trop tard sans doute.

Gerard Pique  lors du match de qualification pour le Mondial 2018 contre l’Italie, le 6 octobre | MARCO BERTORELLO / AFP

Car cette polémique n’est que la dernière d’une longue série. Depuis plus d’un an, Piqué est systématiquement sifflé par une partie du stade lorsqu’il arbore les couleurs de l’équipe nationale, malgré ses 85 sélections et sa participation aux victoires du Mondial 2010 et de l’Euro 2012. Détesté par les nombreux supporteurs du Real Madrid pour ses moqueries et plaisanteries humiliantes à chaque victoire écrasante du Barça sur son principal rival, le joueur catalan est connu pour avoir la langue bien pendue. Provocateur, il est aussi soupçonné d’être un indépendantiste qui ne joue avec l’équipe nationale que par intérêt et vilipendé en conséquence…

Engrenage

Piqué s’en défend régulièrement. Mais il a beau se battre sur le terrain sous les couleurs de la Roja, ou faire porter à son fils le maillot de l’équipe d’Espagne, comme il l’a fait à Toulouse pendant l’Euro, rien n’y fait. Sa participation à une manifestation en faveur du droit à l’autodétermination de la Catalogne en 2014 à Barcelone est restée dans les mémoires. Sur les réseaux sociaux, le joueur avait posté une photo de lui et de son fils aîné, devant une nuée d’esteladas, les drapeaux indépendantistes catalans. Plus tard, il s’était dit en faveur du « droit à décider » mais opposé à l’indépendance : personne ne l’a cru. En 2011 déjà, après une victoire sur le Real Madrid, des journalistes espagnols avaient rapporté qu’il avait lancé à ses adversaires : « Petits Espagnols, on a gagné votre ligue espagnole. Maintenant on va gagner la Coupe de votre roi. »

Provocateur et moqueur récidiviste, Piqué a enclenché un engrenage infernal et incontrôlable. Et quand il a voulu stopper la machine, c’était trop tard. Le rejet qu’il suscite chez une partie des supporteurs espagnols, en partie les madridistas, n’a fait qu’augmenter ces derniers mois. Et tous ses faits et gestes sont examinés à la loupe : il suffit qu’il baisse la tête pendant l’hymne espagnol pour que les réseaux sociaux s’enflamment.

Durant l’Euro 2016, la caméra qui filmait les joueurs alors que retentissait l’hymne espagnol dans les gradins l’a surpris en train de se frotter le pouce contre l’index, tout en étirant le majeur. Il n’en a pas fallu plus pour que l’image de son « doigt d’honneur » à l’hymne ne provoque une polémique intarissable en Espagne, sans qu’il soit tout à fait clair si le geste était intentionné ou si, comme il l’a affirmé par la suite, il se faisait « craquer les doigts. »

Au-delà de toutes ces provocations, sans doute davantage liées à des rivalités sportives qu’à une vraie prise de position politique, puisque, comme l’affirme le joueur, rien ne l’oblige à jouer avec la Roja, l’ampleur de l’affaire Piqué témoigne de la tension provoquée chez une partie des Espagnols par la montée de l’indépendantisme catalan. Et confirme que le ballon rond et la politique ne font pas (toujours) bon ménage…