A l’issue d’un travail de plusieurs mois, la mission d’information du Sénat examinant l’intérêt et les formes possibles de mise en place d’un revenu de base en France a publié un long rapport sur le sujet, mercredi 19 octobre. Celui-ci préconise la mise en place d’une expérimentation, dans des départements volontaires, de plusieurs modalités de mise en place d’un revenu de base d’un montant équivalant à l’actuel RSA socle (près de 520 euros), sur une durée de trois ans.

Marc de Basquiat, économiste et président de l’Association pour l’instauration d’un revenu d’existence (AIRE), salue la démarche des sénateurs, qui prend « acte [de] l’intérêt d’un revenu de base » mais tempère celui d’une expérimentation partielle. Pour lui, l’instauration d’un revenu de base est nécessairement conditionnée à une réforme fiscale. Il recommande notamment de remplacer l’actuel impôt sur le revenu par un impôt à taux unique autour de 23 % prélevé chaque mois dès le premier euro de revenu. En contrepartie, tous les citoyens recevraient individuellement et sans condition une somme de près de 480 euros.

Le rapport d’information préconise la mise en place d’une expérimentation d’un revenu de base dans certains départements volontaires, afin d’en mesurer les effets, mais en laissant de côté la question de son financement, qu’en pensez-vous ?

Marc de Basquiat : tout d’abord il y a des points très positifs dans ce rapport : il acte et reconnaît l’intérêt théorique du revenu de base, il valide de plus le fait que ce soit une réforme de nature fiscale et pas simplement sociale.

Cependant, pour moi, l’expérimentation recommandée par ce rapport n’est pas celle d’un revenu de base. Un revenu de base est par définition distribué tout au long de la vie, à tout le monde, et change la fiscalité. Ici ce n’est pas du tout le cas : les sénateurs avancent l’idée d’un échantillon de personnes âgées de 18 à 65 ans tirées au sort et à qui on donnerait 500 euros pendant trois ans. Il me paraît clairement impossible de tester les effets d’un revenu de base sur une échelle limitée de temps et de personnes.

L’expérimentation ne permettrait-elle pas au moins de voir quelles seraient les conséquences d’un revenu de base sur le rapport au salariat des individus, sur la lutte contre la précarité et le retour à l’emploi ?

On ne va pas apprendre grand-chose avec une expérimentation, on va juste constater des choses positives. C’est sûr, avec un revenu de base garanti, les gens se soignent mieux, ils sont en meilleure santé, ils mangent mieux. Je ne suis pas opposé à cette expérimentation au fond, mais on sait juste que ça ne répondra pas à l’ensemble des questions qu’on se pose sur les effets de la mise en place d’un vrai revenu de base, universel et inconditionnel.

Dans les années 1970, le Canada et les Etats-Unis ont mené d’importantes expérimentations sur ce sujet, il y a eu des résultats très satisfaisants. On a vu que les gens ne s’arrêtaient pas de travailler même s’ils touchaient une rémunération sans condition, que les jeunes faisaient des études plus longues, etc. Mais à l’issue de l’expérimentation, rien n’a été mis en place à long terme. Entre l’expérience et la réforme politique globale il y a un fossé que les gouvernements ne franchissent malheureusement pas.

Le problème, c’est justement que l’instauration d’un revenu de base à l’échelle nationale représente un changement radical de politique. Ne reprocherait-on pas à un gouvernement de se lancer directement dans une telle réforme sans l’avoir testée à une plus petite échelle ?

Les politiques ont besoin de montrer qu’ils avancent. Ce sujet du revenu de base est énorme, une telle réforme ne se fera pas en un mandat de cinq ans, alors forcément il faut qu’il y ait des étapes techniques, et là c’est très compliqué. L’idée d’avancer pas à pas dans une prise de conscience de cette solution est bonne.

Lancer une expérimentation, ça contribue à la pédagogie de l’idée et c’est très bien. Mais si on regarde d’un point de vue scientifique, on sait que ce sera assez pauvre. On n’aura que du conditionnel, il est trop compliqué d’avoir une expérience qui donnera des projections claires. Les résultats seront forcément biaisés, puisque l’individu testé sait qu’il ne percevra ce revenu que pour trois ans. Du coup, les résultats changent. Il sait aussi que les gens à côté de lui ne l’ont pas, en conséquence on n’a pas du tout les mêmes résultats. Alors, oui, une expérimentation peut atténuer les craintes de certains (sur l’arrêt du travail des salariés par exemple, ou sur un soi-disant assistanat), ça peut rassurer, mais ça ne permettra pas d’avancer. Il ne faudra surtout pas s’arrêter à ces résultats.