Camila, blessée le 13 novembre 2015 au Petit Cambodge, à son domicile parisien. | BRUNO FERT / PICTURETANK POUR LE MONDE

Son retour à Sao Paulo au début de mars aurait pu dissiper un peu le souvenir des attentats du 13 novembre 2015 dans lesquels elle a frôlé la mort à Paris. Mais le tragique événement n’en finit plus de coller à la peau de Camila Issa, 29 ans. Le 18 mars, la nouvelle de l’interpellation à Molenbeek (Belgique) de Salah Abdeslam, un des auteurs présumés des attaques, a chassé des gros titres des médias brésiliens la possible destitution de la présidente, Dilma Rousseff.

La frêle psychologue-psychanalyste brésilienne qui sortait d’une séance de rééducation en a été informée en temps quasi réel par sa cousine, Caroline Gonçalves, 33 ans, commissaire de police à… Bruxelles. « On l’a eu, c’est la fin de l’histoire, sois tranquille », l’a rassurée sa parente sur Whatsapp.

Caroline connaissait bien les dessous de l’affaire. Trois jours plus tôt, elle avait été appelée en renfort sur l’opération policière menée dans la commune belge de Forest dans la cadre de l’enquête sur les attentats du 13 novembre. Celle-ci s’était soldée par l’intervention des unités spéciales belges au cours de laquelle Mohammed Belkaid est mort en protégeant la fuite de Salah Abdeslam et d’un autre complice.

Ces péripéties vécues en directe par sa cousine ont ramené Camila quatre mois en arrière. Le 13 novembre 2015, elle suivait encore un master de psychologie à l’université de Paris-VII et dînait en terrasse au Petit Cambodge, dans le 10e arrondissement, avec sept amis brésiliens, étudiants eux aussi ou de passage pour des vacances, quand le restaurant a été pris pour cible par les terroristes.

Elle se souvient de « l’insupportable sensation de brûlure » causée par la balle qui lui a traversé le bras et le sein droits, frôlant son poumon. Une autre lui a transpercé la main gauche, immobilisant celle-ci dans la position d’une griffe. Une troisième s’est logée dans sa cuisse droite. « J’ai fermé les yeux et j’ai pensé à tout ce que je n’avais pas eu le temps de vivre », explique-t-elle.

« Les Brésiliens n’ont aucune idée de ce qu’est le terrorisme »

Elle a survécu, comme les autres convives de sa table. Caroline est la première de la famille à être arrivée à son chevet dans le service de réanimation à la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Camila était parvenue à joindre sa mère, Maria Victoria, institutrice à Sao Paulo, pour expliquer qu’elle se trouvait « dans l’hôpital de Freud ». « Inconsciemment j’avais l’impression que cet endroit était un havre de paix », précise la psychanalyste. Sa cousine, policière, était moins confiante : « Camila était immobile sur son lit, intubée, les yeux mi-clos, et si pâle, se souvient Caroline. Les larmes coulaient sur ses joues et les médecins refusaient de se prononcer. »

Caroline a revécu des scènes identiques quand l’aéroport de Zaventem et la station de métro Maelbeek ont été successivement frappés par des attentats, le 22 mars. Gilet pare-balles sur le dos, l’arme à la ceinture, elle a aidé à faire évacuer le métro et à assurer l’accès d’un des hôpitaux de la capitale belge aux premières victimes. « Je n’oublierai pas leur regard vide. souffle-t-elle. C’était comme si elles ne réalisaient pas ce qu’elles venaient de vivre. Je n’ai pu m’empêcher de penser à Camila en novembre à Paris. »

Paris… Un lieu « insupportable » pour Camila qui a mis en sommeil son sujet d’études devenu « trop lourd ». « J’avais lâché mon cabinet au Brésil en 2014 pour venir étudier les traumatismes des réfugiés, raconte-t-elle. Il y a au Brésil un flux migratoire de plus en plus important en provenance d’Haïti et du reste de l’Amérique latine. J’étais venue apprendre comment mieux accueillir ce type de patients. »

La France lui était apparue comme un riche laboratoire. Elle y avait également découvert le confort d’utiliser un distributeur automatique de billets ou son téléphone mobile dans la rue « sans avoir peur ». Elle rentrait aussi à pied sans inquiétude des baby-sittings qu’elle assurait régulièrement à deux pas du Petit Cambodge. Jusqu’à ce 13 novembre…

A Sao Paulo, désormais, on téléphone à Camila pour la « féliciter » à chaque nouvelle avancée de l’enquête. « Ça peut paraître étrange, mais les Brésiliens n’ont aucune idée de ce qu’est le terrorisme, explique-t-elle. Chez nous, la violence s’exerce sous d’autres formes. »

« J’en ferai quelque chose d’utile aux autres »

Les aveux ou les silences de Salah Abdeslam ou de son présumé complice, Mohamed Abrini, arrêté le 8 avril, ne changent pas grand-chose au quotidien de la jeune femme. « Complications, douleurs, rendez-vous médicaux, chirurgies…, énumère-t-elle avec lassitude. Psychologiquement, la situation est compliquée. Je suis auprès des miens, mais ils ont leur vie et je n’ai plus la mienne. Je vis en mode pause avec le souvenir de mes projets d’avant tout ça, même si je suis consciente de ma chance d’être encore là. »

Camila est cependant convaincue d’avoir « beaucoup grandi » par rapport à sa pratique professionnelle. « Il est trop tôt pour se projeter, mais je sais maintenant ce que c’est que de souffrir d’un traumatisme et j’en ferai quelque chose d’utile aux autres le moment venu », assure-t-elle.

La jeune femme vient de surmonter une énième infection à la main. « C’est comme régresser à chaque fois », explique-t-elle. Ces jours-ci, on doit lui ôter le fixateur externe, une construction de tiges métalliques servant à assurer la prise de la greffe osseuse de son bras. Sa mère l’assiste pour se laver, s’habiller, se nourrir. « C’est comme si elle était redevenue bébé », explique Maria Victoria, qui l’a rejointe à Paris et ne l’a plus quittée depuis le 15 novembre.

En juin, Camila devrait subir des interventions de chirurgie esthétique. Mais elle attend surtout anxieusement un diagnostic de l’état de sa main gauche dont elle souhaite plus que tout préserver l’intégrité.