La planche numéro 4 de « Tintin et le Thermozéro », un album inachevé d’Hergé qui a longtemps fait fantasmer les milieux tintinophiles, sera mise en vente par Christie’s, le 19 novembre. | HERGÉ-MOULINSART, 2016

C’est un fantasme de collectionneur qui devient réalité. Le 19 novembre, la maison d’enchères britannique Christie’s mettra pour la première fois en vente une planche de Tintin et le Thermozéro, un album d’Hergé resté inédit et qui fait s’agiter le milieu tintinophile depuis des décennies.

C’est à la fin des années 1950 que le maître de la ligne claire s’attelle à cette aventure. Hergé vient alors de terminer Tintin au Tibet, son chef-d’œuvre. Mais il n’est pas heureux. En pleine séparation avec sa femme Germaine, il s’interroge sur son art, se remet en question, tourne en rond. Il demande alors à Jacques Martin, l’auteur de la série Alix l’intrépide, puis au scénariste Greg (Achille Talon, Bernard Prince, etc.), de se pencher sur un vieux synopsis, appelé La Boîte de Pandore, qu’il a laissé de côté deux ans auparavant.

Désireux de prouver sa valeur à Hergé, Greg lui ficelle sur cette base une solide histoire d’espionnage sur fond de Guerre froide. Il y est question d’une pilule radioactive, capable d’enflammer l’air, qu’un chercheur glisse à son insu dans la poche de l’imperméable de Tintin, juste avant de mourir après un accident de voiture provoqué par des espions. Hergé s’empare du scénario de Greg, le retravaille, puis démarre les premières planches. Mais très vite, l’auteur belge se sent prisonnier de cette histoire qui n’est pas la sienne.

Roger Leloup, dessinateur : « C’était un scénario abouti, ce qui ne plaisait pas à Hergé car il ne se sentait pas à l’aise dans les histoires des autres »

« C’était un scénario abouti, ce qui ne plaisait pas à Hergé car il ne se sentait pas à l’aise dans les histoires des autres, expliquait Roger Leloup, 82 ans, auteur de la série Yoko Tsuno et l’un des derniers survivants des studios Hergé, lors d’une interview donnée au Monde en 2015. Des esquisses ont néanmoins été réalisées par différents dessinateurs des studios et par Hergé lui-même. Je me souviens, j’ai dessiné une Volkswagen dedans, parce que l’histoire démarrait par un accident de voiture. Mais Hergé a fini par abandonner, il préférait mener ses propres histoires. »

Au total, huit planches de Tintin et le Thermozéro ont été ébauchées par Hergé avant qu’il ne délaisse ce projet et se lance dans Les Bijoux de la Castafiore, son album le plus introspectif. Mais celles-ci comptent parmi les plus beaux crayonnés jamais réalisés par l’auteur, selon les spécialistes. Six dorment aujourd’hui dans les sous-sols du Musée Hergé de Louvain-la-Neuve, en Belgique, qui appartient à Moulinsart, la fondation de Fanny Rodwell, veuve du pape de la bande dessinée. Les deux dernières ont été données de son vivant par Hergé : l’une à Bob de Moor, son plus fidèle bras droit, l’autre à Tibet, alors jeune dessinateur du Journal de Tintin.

Hergé (à droite) et Gilbert Gascard dit Tibet devant plusieurs crayonnés de « Tintin et le Thermozéro », l’album inachevé du maître de la ligne claire. C’est sans doute le jour où cette photo a été prise que Hergé a offert une planche dédicacée « à mon ami Tibet » au jeune dessinateur de Chick Bill, le 23 février 1961. | DR

« Le Graal pour les amateurs de Tintin »

La planche mise en vente par Christie’s est la quatrième de l’histoire. Réalisée entièrement de la main d’Hergé, à la mine de plomb, elle représente Tintin, Milou et le capitaine Haddock porter secours aux victimes d’un accident de la route. Tout y est : la finesse du trait, la vivacité de l’action… Même les dialogues sont là, inscrits à la main dans les bulles. Une dédicace, « A mon ami Tibet, très cordialement, Hergé, 23.2.1961 », a été ajoutée au stylo plume par le maître. Pour l’anecdote, un visage de scout a aussi été griffonné en bas de page, ainsi qu’une armoirie dont personne n’a encore trouvé la signification.

« Cette planche, c’est le Graal pour tous les amateurs de Tintin, estime le galeriste parisien Daniel Maghen, expert pour la vente Christie’s. Il s’agit d’une pièce d’un album mythique, un morceau d’histoire de la bande dessinée. Avec cette vente, on porte à la connaissance du grand public un aspect méconnu du travail d’Hergé. »

De fait, la fondation Moulinsart et Casterman, l’éditeur de Tintin, n’ont jamais exploité ces planches et les centaines de documents associés. Elles ont été seulement reproduites par l’éditeur Rombaldi, à la fin des années 1980, dans L’Œuvre intégrale d’Hergé, un ensemble de beaux livres sur l’auteur belge. Mais ces ouvrages sont aujourd’hui introuvables. « Le Thermozéro est le projet inachevé le plus abouti d’Hergé », estime l’écrivain tintinophile Benoît Peeters. La planche mise en vente par Christie’s est estimée entre 200 000 et 250 000 euros.

Hergé, star des ventes aux enchères

Plus que jamais, Hergé est la star des ventes aux enchères d’originaux de bande dessinée. Ses pièces s’arrachent et sa cote crève les plafonds. Outre un crayonné de Tintin et le Thermozéro, Christie’s mettra en vente, le 19 novembre, une très rare planche d’On a marché sur la lune, publiée pour la première fois en 1953. Découpée de façon originale, avec une grade case centrale, on y assiste au retour sur terre de la fameuse fusée à damier. Cette planche est estimée entre 350 000 et 400 000 euros. Deux magnifiques illustrations pour puzzle seront également proposées aux collectionneurs, pour un prix estimé entre 90 000 et 120 000 euros chacune.

Le même jour, la maison française Artcurial mettra aussi en vente, à l’occasion d’une vacation dédiée à « L’univers du créateur de Tintin », un rare ensemble de vingt cartes postales représentant le petit reporter, souvent accompagné de son chien Milou. Commandées à Hergé au début des années 1940, elles sont considérées comme le premier produit dérivé important lié à l’univers de Tintin. On y voit le jeune héros dans diverses situations, toutes en relation avec les fêtes de fin d’année et la neige. Chaque dessin est estimé entre 60 000 et 120 000 euros, ce qui porte la valeur de l’ensemble de la série entre 1,2 et 2,4 millions d’euros.

Hergé détient la plupart des records de vente pour des originaux de bande dessinée. Le dessin de la double page de garde des albums de Tintin a ainsi été vendu 2,6 millions d’euros en 2014, record mondial pour une œuvre de BD. La couverture à la gouache de Tintin en Amérique a aussi été cédée pour 1,3 million d’euros en 2012.