« Civic Tech » : vers une boîte à outils de la démocratie numérique
« Civic Tech » : vers une boîte à outils de la démocratie numérique
Par Claire Legros
Alors que la France accueillera du 7 au 9 décembre le sommet mondial du Partenariat pour un gouvernement ouvert, un portail va recenser les plateformes de consultation citoyenne. La transparence des outils est au cœur de la réflexion.
C’est un débat de fond sur les enjeux de la démocratie numérique qui anime depuis plusieurs semaines les acteurs de la « Civic Tech » en France, ces porteurs de projets qui veulent mettre les avancées technologiques au service de la démocratie. Un débat technique, mais pas seulement.
Alors que de plus en plus de ministères et de parlementaires ont recours à des consultations de citoyens pour élaborer les lois, comment s’assurer de l’efficacité et de la transparence de ces consultations ? Sur quels critères fonder le choix d’une plateforme ? Autrement dit : à qui confier les clés de la démocratie participative ?
Pour aider les services publics à mieux se repérer entre les différentes solutions, Etalab, la mission qui pilote en France la politique d’ouverture et de partage des données publiques, anime depuis le 16 septembre un atelier participatif. « Des start-ups ont acquis une réelle expérience dans le domaine de la démocratie participative, et en parallèle de plus en plus d’administrations nous demandent des conseils sur les solutions disponibles pour mener à bien leurs consultations, explique Laure Lucchesi, sa directrice. L’objectif est de leur apporter des réponses. »
Autour de la table sont réunis les représentants d’entreprises telles que Bluenove dont la plateforme Assembl a été utilisée par l’OCDE et la ville de Paris, Democracy OS France qui équipe la mairie de Nanterre, Nova Ideo, qui utilise le crowdsourcing (la contribution de la foule) pour organiser des idées, ou encore Cap collectif qui a fourni l’outil de consultation sur la loi sur la République numérique…
Un bien commun numérique
Dans sa rédaction initiale, le projet était de concevoir un « outil libre de consultation en ligne », une sorte de bien commun numérique disponible pour n’importe quelle administration ou collectivité. « Mais les délais étaient trop courts pour un chantier aussi complexe », explique Virgile Deville, fondateur de Democracy OS France. L’idée a donc été abandonnée. « On a pivoté, comme on dit dans nos méthodes agiles, constate Laure Lucchesi. Notre objectif est de répondre aux besoins des administrations tout en respectant les solutions qui existent déjà. »
Le collectif s’oriente désormais vers la création d’un portail qui recenserait les solutions existantes, en France et à l’étranger, « une boîte à outils du gouvernement ouvert », mise en ligne pendant le 4e sommet mondial du Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO), présidé cette année par la France, et qui réunira du 7 au 9 décembre à Paris, des chefs d’Etat et des acteurs de la démocratie ouverte.
Favoriser la transparence de la démarche
Le débat se concentre aujourd’hui sur les critères de sélection des outils à y promouvoir, et notamment sur leur transparence. Faut-il privilégier les acteurs qui utilisent du logiciel libre dont le code est accessible, ouvert à tous, contrairement aux logiciels propriétaires ? Sur son site, Etalab indique d’emblée que « l’ouverture du code d’un logiciel de consultation favorise la transparence de la démarche et la confiance dans une procédure de délibération qui doit être le plus neutre possible. De plus, cela permet aux utilisateurs et à la communauté de se saisir de l’outil pour l’améliorer, y apporter des modifications ou l’adapter à différents cas d’usages ».
Un point de vue défendu par une majorité des acteurs de la « Civic Tech », issus pour la plupart de la communauté du logiciel libre. C’est le cas de Democracy OS France ou de Nova Ideo, dont l’accès au code source des plateformes est ouvert et qui vendent aux administrations et aux collectivités de l’accompagnement et du service plutôt qu’un logiciel.
A l’inverse, Cap Collectif, acteur historique et pionnier de la démocratie participative, défend une logique de logiciel propriétaire. En position dominante sur le marché, la jeune entreprise dispose d’une plateforme qui a fait ses preuves, et a construit son modèle économique sur la vente à la fois de l’outil et de l’accompagnement. « C’est le seul moyen qu’on a trouvé pour boucler notre budget, explique son fondateur Cyril Lage. Quand on travaille avec des administrations, il n’y a pas de tolérance possible sur la stabilité du logiciel, il faut des développeurs 24 heures sur 24. » Pour lui, la transparence se joue ailleurs, dans l’accès aux données notamment.
La réflexion menée par Etalab s’inscrit dans un débat plus large, à la fois sur le financement de cet écosystème fragile et sur la place du logiciel libre dans les administrations publiques. Dans ses premières versions, le projet de loi sur la République numérique prévoyait que le logiciel libre soit clairement favorisé dans la fonction publique. La mesure a finalement été abandonnée face à la réaction des représentants des éditeurs de logiciels (dont une majorité a choisi le logiciel propriétaire) qui ont exprimé « leurs plus vives inquiétudes face à cet écart au principe de neutralité technologique de l’Etat ».
Au sein de l’atelier animé par Etalab, « la réflexion n’est pas encore totalement tranchée », indique sa directrice, « les critères sont en cours de définition ». D’autres rencontres sont prévues dans les semaines qui viennent.