Le cacao « Mercedes », fève en or des planteurs ivoiriens
Le cacao « Mercedes », fève en or des planteurs ivoiriens
Par Rémi Carlier (contributeur Le Monde Afrique, Abidjan)
Cette variété hybride, mise au point par des scientifiques ivoiriens, offre une précocité de croissance et un rendement inégalé. Mais elle est loin d’être accessible à tous.
Sous un haut plafond de feuillage, loin de toute voie bitumée, une piste glissante mène à la plantation de cacao de Barthélémy Koffi. Sandales aux pieds et machette à la main, ce planteur quarantenaire est responsable de l’exploitation familiale de cinq hectares dans la campagne de Bonoua, à 50 km à l’est d’Abidjan. Il s’y rend d’un pas sûr, le sourire aux lèvres. Lui qui vit très modestement a récemment triplé son rendement : depuis 2011, il reçoit de sa coopérative des plans de cacao hybrides « miracles », au rendement élevé et rapide. Il a pu remplacer un hectare de sa plantation vieillissante pour la culture de ce qu’il appelle le cacao « Mercedes ». « Je faisais environ 300 kg par récolte. Aujourd’hui, j’en fais 1 000 kg, soit six tonnes à l’année », se réjouit-il.
Un rendement inégalé
Elaboré pendant quinze ans dans les laboratoires du Centre national de la recherche agronomique (CNRA), le « Mercedes » est un cacao hybride, combiné de deux variétés à haut rendement. « Il est plus résistant aux maladies et permet de booster la production cacaoyère en Côte d’Ivoire. Nous y avons introduit la précocité, le rendement, la qualité et la grosse taille des fèves, selon le souhait des industriels », souligne le docteur Wongbé Yté, directeur général du CNRA, insistant sur la notion d’hybridité de son produit, comme pour éviter toute confusion avec les OGM.
La principale particularité du « Mercedes », appréciée des producteurs autant que des acheteurs, est la rapidité de sa croissance. Ce qui lui a valu son sobriquet. Planté dans de bonnes conditions, il donne des cabosses dès dix-huit mois, et atteint une production de croisière optimale au bout de trois ans, contre respectivement trois et six ans en moyenne pour un cacao « classique ». « Le rendement en laboratoire est entre trois et quatre tonnes par hectare, contre près de deux tonnes pour du “classique”. Chez les paysans, nous sommes passés de 300 kg par hectare [en moyenne], à près de deux tonnes », poursuit le docteur Wongbé.
Des chiffres absolument impossibles à vérifier pour Ousmane Attaï, journaliste indépendant spécialiste du cacao : « Le rendement du “Mercedes” est supérieur au tout-venant, c’est évident. Mais ce qui est constaté en labo ne peut pas se généraliser aux grandes surfaces extérieures, où les paramètres sont multiples. »
Depuis 2011, Barthélémy Koffi a pu remplacer un cinquième de son verger vieillissant par du « Mercedes », et a triplé sa production. | Remi Carlier
Récolte record
Au milieu de ses cacaoyers, Barthélémy Koffi pointe la différence entre les deux types d’arbres fruitiers : ceux du « tout-venant » peuvent monter jusqu’à dix mètres, rendant la récolte ardue, quand les plants hybrides ne dépassent pas les deux mètres. Par ailleurs, la cabosse du « Mercedes », moins épaisse, est plus facile à casser, et contient davantage de fèves qui, une fois séchées, servent à produire le précieux chocolat. « Pour la même quantité de travail, je produis plus, je gagne plus, et ma récolte est plus sûre », affirme le planteur.
Dans les années 2000, comme des milliers de paysans ivoiriens, Barthélémy Koffi avait commencé à arracher ses vieux plants de cacao, devenus stériles, pour la culture de l’hévéa, plus rentable à l’époque avec près de 1 000 francs CFA pour un kilo de latex. L’apparition du « Mercedes », associée à la chute du cours du caoutchouc, l’a fait revenir en arrière.
« Il y a eu une période de ruée vers l’hévéa, mais son prix a chuté. On le trouve aujourd’hui à moins de 200 francs CFA sur le terrain, alors que celui du cacao n’a fait qu’augmenter [il est aujourd’hui de 1 100 francs CFA le kilo]. Le “Mercedes” s’est présenté comme une alternative aux vieux plants », explique le docteur Assunta Adayé, enseignant-chercheur en géographie rurale à l’Institut de géographie tropicale d’Abidjan.
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La culture croissante de cette semence a contribué à la récolte record de 1,75 million de tonnes de cacao en Côte d’Ivoire, comme l’ont annoncé les autorités le 1er octobre 2015. Le premier producteur mondial d’or brun a aussi bénéficié de l’augmentation continue des cours sur le marché, favorisant une production en hausse, une meilleure gouvernance depuis la fin de la crise qui a secoué le pays de 2002 à 2011, et d’une météo clémente.
Vers des plantations 100 % cacao hybride
Sa commercialisation, entamée en 2004, gagne du terrain sur les plantations à travers le Conseil café cacao (CCC) ivoirien, organe public en charge de la régulation du marché, qui s’approvisionne auprès du CNRA et assure sa distribution aux planteurs. De 25 000 hectares en moyenne par an depuis 2004, elle est passée à 40 000 hectares cette année. « Le souhait est, qu’à terme, toute la production fasse du cacao hybride. Notre verger est assez vieillissant, c’est normal de le remplacer », ajoute le directeur du CNRA.
Même si sa distribution a tendance à augmenter, le cacao hybride est loin d’être accessible à tous les planteurs, surtout ceux qui sont isolés ou ne sont affiliés à aucune coopérative. Le CCC le fournit avec parcimonie pour éviter une saturation du marché.
« Tous les paysans ne l’ont pas adopté car il sort lentement du laboratoire, confirme le docteur Adayé. Ceux qui n’y ont pas accès et veulent conserver leurs vieux plants, ils les traitent, ce qui leur coûte très cher. »
Le phénomène pourrait conduire à la disparition des petites plantations classiques, rendues obsolètes face aux capacités de production d’un planteur de « Mercedes ». Même Barthélémy Koffi, qui a conscience de faire partie des « heureux élus », espère pouvoir remplacer l’intégralité de son verger rapidement, avant d’être rattrapé par la concurrence des grandes plantations de l’ouest du pays.