La sélection cinéma du « Monde »
La sélection cinéma du « Monde »
Par Thomas Sotinel
Chaque mercredi, La Matinale vous présente les meilleurs films à voir sur grand écran.
LA LISTE DE NOS ENVIES
Au Royaume-Uni, la Palme d’or 2016 du Festival de Cannes sortira sur cent écrans ; en France, il y en aura six fois plus. Mais le film de Ken Loach n’est pas l’unique raison d’aller au cinéma cette semaine : le beau documentaire de Wang Bing sur les réfugiés, le film musical de John Carney, les rééditions de l’Israélien Uri Zohar poussent aussi à affronter les éléments.
DANIEL DANS LA FOSSE AU PROFIT : « Moi, Daniel Blake »
MOI, DANIEL BLAKE - Extrait 1
Durée : 01:53
Ken Loach a beau être un habitué du Festival de Cannes, jamais le contraste entre son cinéma et les rituels mondains de la manifestation n’a été aussi violent que lors de la présentation de Moi, Daniel Blake, en mai. Pourtant, les « soiristes » en robe du soir ou en smoking se sont rendus à la force de l’histoire de Daniel Blake, ouvrier frappé par la maladie, coincé par la bureaucratie dans un no man’s land dont les frontières s’appellent invalidité et chômage.
Avec son scénariste Paul Laverty, Loach porte ici à la perfection sa méthode : ancrage dans la réalité – le scénario a été écrit après une enquête minutieuse sur les mécanismes de l’exclusion des aides sociales, le film a été tourné dans les rues de Newcastle –, emploi de comédiens inconnus qui s’épanouissent devant sa caméra, recours aux figures classiques du roman social.
A 80 ans, Ken Loach est en colère, et peut-être parce qu’il se sent pressé par le temps, déploie une énergie encore plus féroce qu’au temps de Pas de larmes pour Joy ou de The Navigators. La preuve de cette puissance d’expression, on la trouvera moins dans la Palme d’or attribuée par le jury cannois que dans les questions qu’on est forcé de se poser à la sortie de Moi, Daniel Blake. Thomas Sotinel
« Moi, Daniel Blake », film britannique de Ken Loach avec Dave Johns, Hayley Squires (1 h 40).
CHEMINER AU CÔTÉ DES OUBLIÉS : « Ta’ang »
TA'ANG de Wang Bing - Official Trailer - 2016
Durée : 01:35
Wang Bing, qui mène depuis plus de dix ans une œuvre documentaire magistrale sur les laissés-pour-compte de la croissance et du « socialisme de marché », est allé filmer les réfugiés Ta’ang, minorité birmane dont une partie a été chassée de ses villages, à la frontière chinoise, par des combats entre armées séparatiste et centrale. Cette situation particulière résonne évidemment avec un certain état migratoire du monde contemporain.
Wang Bing atterrit au cœur de cette débâcle humaine, sans parler la langue de ces populations. Il lui faut alors se fier au présent, capter immédiatement cette réalité débordante, ce qui fond sur sa caméra comme un torrent. Après avoir saisi sa précarité (fuite, construction d’abris…), le film s’abîme dans de longues plages nocturnes, scènes magnifiques d’exténuation, de confidences et de récits angoissés, brossées dans des clairs-obscurs caravagesques. Mathieu Macheret
« Ta’ang », documentaire chinois, hongkongais et français de Wang Bing (2 h 27).
REVOIR URI ZOHAR, LE GODARD ISRAÉLIEN
Apparue dans les années 1960, laminée au seuil des années 1980, la tendance moderne du cinéma israélien est dominée par la figure d’Uri Zohar, dont trois films ressortent sur les écrans. Zohar est un peu le Godard israélien : même génération, même explosion iconoclaste dans les années 1960, même goût de la provocation et de la recherche, même retrait érémitique.
Auteur de onze longs-métrages de fiction entre 1964 et 1977, Zohar, enfant terrible du sionisme, trublion numéro un du cinéma israélien, fumeur de marijuana et laïcard bohème, a rangé un beau jour sa caméra et plongé dans le bain séculaire de la piété juive. Depuis, quelques apparitions télévisuelles dans ses nouveaux habits de rabbin ont entretenu la légende de ce parcours singulier.
Trois jours et un enfant (1967), Les Voyeurs (1972) et Les Yeux plus gros que le ventre (1974) ont en commun humour régressif et éruptif, trivialité désolante, cocasserie et mélancolie. Ils composent ici un prologue moyen-oriental inattendu à la veine comique lancée aux Etats-Unis par le réalisateur, scénariste et producteur Judd Apatow. Jacques Mandelbaum
« Trois jours et un enfant », 1967 (1 h 30) ; « Les Voyeurs », 1972 (1 h 30) ; « Les Yeux plus gros que le ventre », 1974 (1 h 15).
LA VIE RÊVÉE DES ROCKERS : « Sing Street »
Sing Street de John Carney - Bande-Annonce
Durée : 02:31
Une ruelle de Dublin dans les eighties, quelques jeunes gens, une batterie, des guitares, un synthé, qui prennent trop de place pour ne pas gêner l’œil, pas assez pour imposer un autre paysage. De petits hommes, et une petite jeune femme en kimono, qui n’est là que pour éclairer de sa beauté la pauvre scène, captée caméra à l’épaule par un minot très affairé.
L’image qu’il obtient ressemble à la performance : énergique et timide et brouillonne, touchante. Par un tour de passe-passe cependant, elle ne nous vient que dans un second temps : une autre caméra, qui n’existe pas dans le monde de Sing Street, a d’abord pris le relais de celle de l’adolescent.
Le réalisateur John Carney est entré dans la ruelle comme la bonne fée des contes, pour offrir à ces gamins pleins d’espoir et de crainte le clip dont ils rêvent. En montant le clip des jeunes gens à la suite du sien, pour n’en faire qu’un seul, John Carney fait cependant bien plus que travailler le contraste humoristique – tout à fait réussi, d’ailleurs : il nous invite à voir leur rêve avant de voir le gris, à accorder à la vision grandie qu’ils ont d’eux-mêmes autant de crédit qu’à leur jeunesse présente.
Toute la beauté du cinéma discret de John Carney se condense dans cette métamorphose, cette idée simple du film comme tour magique, offrant à une fiction à peine détachée du réel (comme celle de Once, romance dublinoise entre musiciens de rue) la lumière que sa grisaille éprise de ciel bleu appelle. Noémie Luciani
« Sing Street », film irlandais, britannique et américain de John Carney avec Ferdia Walsh-Peelo, Lucy Boynton, Jack Reynor, Maria Doyle Kennedy, Aidan Gillen (1 h 46).
MENU HOLLYWOOD AVEC BANLIEUSARDE ALCOOLIQUE ET SORCIER SUPRÊME : « La Fille du train » et « Doctor Strange »
LA FILLE DU TRAIN - Bande-Annonce - VOST
Durée : 02:23
Si les quatre propositions précédentes sont au-dessus de tout soupçon, ce qui vient est à prendre avec des pincettes. Amateurs d’élévation d’esprit, de recherche esthétique, remontez de quelques paragraphes. Sinon, entrez un moment au royaume de l’entertainment industriel. Après tout, c’est l’automne, les sinus sont encombrés, on peut avoir envie de reposer ses neurones.
Première offre de la semaine, La Fille du train, drame imité de Gone Girl, la virtuosité de David Fincher en moins. Emily Blunt y incarne une jeune alcoolique pleine de ressentiment – contre son ex-mari, la nouvelle épouse de celui-ci et tous les gens heureux en général –, qui croit détenir la clé d’un mystère criminel.
Mais comment croire une alcoolique ? Il faut presque deux heures à ce film un peu psychologique et très grand-guignolesque pour apporter la réponse. Entre-temps on aura passé quelques trajets distrayants dans un train de la banlieue new-yorkaise en compagnie de l’excellente Emily Blunt, qui s’est fait une jolie couperose pour l’occasion.
Doctor Strange - Nouvelle bande-annonce (VOST)
Durée : 02:25
Pour les garçons (La Fille du train, c’est pour les filles), voici le nouveau modèle Marvel, le studio aux inépuisables fonds de tiroir. Le docteur Strange est un neurochirurgien devenu sorcier, et il a le privilège d’être interprété par Benedict Cumberbatch qui prend son personnage aussi au sérieux que s’il jouait Macbeth à la Royal Shakespeare Company.
Ajoutez Tilda Swinton en grand maître d’un monastère de Katmandou (avec son crâne rasé et son air enfantin, elle rappelle certaines vignettes de Dragon Ball Z) et vous avez deux bonnes raisons de voir un film qui, par ailleurs, se contente d’exécuter le programme du blockbuster. T. S.
« La Fille du train », film américain de Tate Taylor avec Emily Blunt, Justin Theroux, Anna Ferguson (1 h 53).
« Doctor Strange », film américain de Scott Derrickson avec Benedict Cumberbatch, Tilda Swinton, Rachel McAdams, Chiwetel Ejiofor (1 h 55).