Des auteurs francophones dévergondent Mickey
Des auteurs francophones dévergondent Mickey
Par Frédéric Potet (Saint-Malo, envoyé spécial)
Le festival Quai des bulles, à Saint-Malo, expose des planches de bédéistes qui font revivre, à leur manière, le personnage de Disney.
« Café Zombo », de Régis Loisel (Glénat/Disney) | Glénat/Disney
Mickey Mouse est-il animé d’une conscience politique ? Le personnage créé par Walt Disney en 1928 n’est pas vraiment connu pour incarner des militants syndicalistes ou des activistes ultra-mondialistes. Ses aventures se contentent généralement de célébrer l’amitié et les plaisirs simples de l’existence, quand elles ne se résument pas à des péripéties mouvementées où les méchants finissent immanquablement les quatre fers en l’air. Il y a certes de tout cela dans Café Zombo, l’album que Régis Loisel (La Quête de l’oiseau du temps, Peter Pan, Magasin général…) vient d’achever dans le cadre d’un partenariat entre Disney et l’éditeur français Glénat. Il y est toutefois question, aussi, de sujets plutôt inhabituels pour la firme de Burbank (Californie) : l’exploitation du prolétariat, les dangers de la malbouffe, les atteintes contre l’environnement.
Mickey et ses amis expulsés
Attendu en librairie le 23 novembre, Café Zombo est le quatrième ouvrage de la collection lancée par Glénat visant à confier des personnages de Disney à des auteurs francophones. Des originaux de Régis Loisel sont visibles au festival Quai des bulles de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) jusqu’à ce dimanche 30 octobre, aux côtés de planches tirées des trois premiers titres de la série : Mickey’s Craziest Adventures, de Lewis Trondheim et Nicolas Keramidas, et Mystérieuse Mélodie, de Bernard Cosey, tous deux publiés en mars, et La Jeunesse de Mickey, de Tébo, sorti le 26 octobre. Riche en gags et en rebondissements, Café Zombo tranche cependant avec le reste de la production en raison des messages qu’il véhicule, sous le vernis de l’humour.
« La Jeunesse de Mickey », de Tébo (Glénat/Disney) | Glénat/Disney
L’action se déroule pendant la Grande Dépression des années 1930 : Mickey et ses amis sont expulsés de leur maison afin que soit construit un terrain de golf. Les travailleurs affectés à ce chantier ont, par ailleurs, été rendus à l’état de zombies sous l’effet d’une drogue conçue par un sinistre homme d’affaires. Régis Loisel pouvait craindre que la multinationale américaine vienne censurer son histoire à la lecture de son synopsis et de ses crayonnés. Or Disney n’a pas tiqué. Le nom pourtant évocateur du promoteur véreux, Rock Fuller, et ceux des deux chimistes fous ayant mis au point un hamburger démoniaque, Max et Ronald (à ne pas confondre avec « McDonald’s »), ont même été conservés comme tels.
Toute idée de sexe prohibée
L’entreprise californienne serait-elle plus chatouilleuse, en vérité, sur les questions de morale que de politique ? Tébo (Captain Biceps, Samson et Néon…) a pu le vérifier lui aussi. Son album met en scène un « Pépé Mickey » qui raconte ses exploits à un jeune enfant. L’aïeul est finalement devenu un grand-oncle et le petit-fils un petit-neveu, en vertu d’un principe irréductible selon lequel les personnages de Disney ne peuvent pas se reproduire – toute idée de sexe étant prohibée dans les histoires.
« La Jeunesse de Mickey », de Tébo (Glénat/Disney) | Glénat/Disney
Comme Loisel, Tébo s’est fait également reprendre sur le vocabulaire : « Il est interdit d’écrire “coup de pied aux fesses” chez Disney. On peut en donner un, de coup de pied, mais pas l’écrire », s’en amuse-t-il rétrospectivement. Pour traiter de la période de la Prohibition, Tébo a de lui-même remplacé l’alcool par du chocolat chaud, et pour évoquer la première guerre mondiale, il s’est ingénié à inventer une « bombe à farine » autrement moins meurtrière que du gaz moutarde. C’est qu’on ne rigole pas avec la violence chez Disney. « A la fin de l’album, j’avais très envie que Mickey donne un coup de pied dans les testicules de Pat Hibulaire, mais je me suis ravisé, raconte Tébo. Je n’ai finalement pas dessiné cette scène. Il est vrai, aussi, que cela m’a évité de devoir la recommencer. »