Dans « Mr Wolff » de Gavin O’Connor, J.K. Simmons s’impose une fois de plus dans un rôle ambivalent. | 2015 WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC. ALL RIGHTS RESERVED/CHUCK ZLOTNICK

Il a conscience de n’être pas grand-chose. Ce qui lui sied à merveille. Peu de temps après son Oscar pour son rôle de professeur de musique sadique dans Whiplash (2014) de Damien Chazelle, J.K. Simmons avait été pour la première fois de sa carrière arrêté par un inconnu qui lui demandait un autographe. C’était à Studio City, en périphérie de Los Angeles, où il réside, dans le café qui lui tient lieu de quartier général pour ses interviews et la négociation de ses contrats. « “Est-ce vous l’acteur qui vient de recevoir un Oscar ?”, a hurlé cet imbécile. J’ai opiné de la tête, espérant en finir là. Mais non. L’impétrant a poursuivi : “Vous étiez très bien à la cérémonie des Oscars, impeccable, digne, discret. Bravo ! Je n’ai pas vu votre film, en revanche. Cela n’a pas d’importance car à la télévision vous étiez bien et c’est l’essentiel”. »

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Ne pas être vu, ou si peu, lui est toujours apparu comme un cadeau du ciel. Allure de M. Propre, crâne rasé, musculature visible (même sous un costume), visage exagérément buriné, voix autoritaire, l’acteur ressemble à un totem. « Mais c’est un totem que vous oubliez aussitôt après l’avoir vu. Vous êtes content de me voir, mais dès que je disparais du cadre, vous ne saviez même pas que j’étais là. » Ce que l’on perçoit très bien quand il incarne un chef de la CIA dans Burn After Reading (2008) des frères Coen, un détenu dans la série Oz ou le responsable des délits financiers au sein du département du Trésor américain dans Mr Wolff (en salles le 1er novembre) de Gavin O’Connor avec Ben Affleck.

Une présence essentielle

Ce dernier campe un comptable, génie des mathématiques, travaillant pour le compte de différentes mafias. Le personnage de J.K. Simmons fait de l’arrestation du criminel une affaire à la fois personnelle et d’État. En tout, une quinzaine de minutes de présence dans le film, qui sont parmi les scènes essentielles. Il interprète un personnage d’une crapulerie ambivalente, tenant son assistante d’une main de fer jusqu’à cette étonnante scène de flash-back où l’on découvre qu’avant de devenir un fonctionnaire cynique il fut un flic maladroit, incapable de sauver son collègue.

Un extrait de la série Oz, dans laquelle J.K. Simmons campe le détenu Schillinger.

Oz - Funniest Scene Ever
Durée : 02:25

J.K. Simmons a une certitude dans la vie – et c’est d’ailleurs bien la seule, tant sa trajectoire relève d’une série de rencontres, de hasards et de malentendus qui l’ont propulsé de manière, irrationnelle à ses yeux, sur le grand écran : il est un « character actor », un comédien à mi-chemin entre premier et second rôle, souvent employé dans le même registre. Fort de cette distinction, J.K. Simmons s’est trouvé un territoire sur lequel il s’imagine exister, même si c’est avec difficulté. « Soyons lucides, personne ne financera un film avec un acteur chauve de 61 ans. Ne pensez pas une seconde que j’ai pu dire non un jour à un rôle vedette, cela ne s’est jamais produit. »

Des chauves pourtant ont fait carrière dans le cinéma américain, du moins des acteurs dégarnis, Robert Duvall ou Gene Hackman par exemple, qui ouvraient une voie, dans les années 1970, avec Le Parrain et French Connection, que pourrait emprunter Simmons. « Sauf que je n’ai pas leur talent. Remettons les choses à leur place : Hackman se retrouve dans pratiquement chaque scène de French Connection. Je ne suis pas certain que, avec moi à sa place, vous me supporteriez autant. Dans son genre, Brad Pitt est un character actor mais il a la gueule de quelqu’un que vous avez envie de regarder toute la journée. Et dans un autre style, Rod Steiger et Lee J. Cobb, aux côtés de Brando dans Sur les quais de Kazan sont les character actors absolus, ils ont un talent que je n’ai pas. »

Une question de style

Lorsque sa carrière commençait à décoller, au début des années 1990, Simmons trouvait un peu de travail dans des films publicitaires. Quand on lui expliqua qu’un annonceur cherchait un type avec la gueule et la voix de celui qui jouait dans un spot pour un loueur de voiture, il s’est dit que c’était gagné : coup de chance, J.K. Simmons était justement le visage et la voix auxquels le client faisait référence. « Vous imaginez bien que, lors de l’audition, je me suis contenté d’être moi. Et on ne m’a pas pris. »

« Je suis un mec qui arrive à l’heure sur les plateaux, connaît toujours son texte par cœur et n’emmerde personne. » J.K. Simmons

L’idée d’un « style J.K. Simmons » l’afflige. Sa seule signature serait ces initiales en guise de prénom, pour se débarrasser de celui, composé, encombrant et ridicule, de Jonathan Kimble, et choisir l’acronyme J.K. qui sonne, à l’oreille, comme L.J. Cobb, acteur qu’il admire. « Je suis un mec qui arrive à l’heure sur les plateaux, connaît toujours son texte par cœur et n’emmerde personne. C’est ça le style J.K. Simmons. C’est suffisant pour trouver du travail. La preuve : les Coen, Sam Raimi et Damien Chazelle m’ont régulièrement fait retravailler. »

Cynthia Addai-Robinson, assistante malmenée de J.K. Simmons, dans « Mr Wolff ». | 2015 WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC. ALL RIGHTS RESERVED/CHUCK ZLOTNICK

Le rôle idéal aux yeux de l’invisible J.K. Simmons reste celui offert par Damien Chazelle pour Whiplash. Il était le premier choix du réalisateur, qui ignorait combien celui-ci se révélerait parfait. Il avait pensé indispensable d’adjoindre un coach musical à son acteur, sans savoir que ce dernier, fils d’un chef d’orchestre de musique classique, avait commencé par des études de musicologie pour exercer le même métier que son père.

« Ne me demandez pas comment j’ai obtenu le job, je ne me l’explique pas. » J.K. Simmons

Le passage de la musique classique au théâtre, puis du théâtre au cinéma, s’est effectué progressivement tout au long des années 1980. Par paresse, par hasard aussi. « J’ai décroché mon premier rôle au cinéma en 1986 pour Wall Street d’Oliver Stone. J’étais seulement apparu à Broadway auparavant. Ne me demandez pas comment j’ai obtenu le job, je ne me l’explique pas. Je devais tourner en caleçon autour de Michael Douglas dans un vestiaire. Puis ils ont changé la date de tournage de la scène. Or j’étais à Pittsburgh, au lieu de New York, le jour où je devais me pointer. Je n’ai donc pas joué dans le film… et j’ai reçu un chèque pour mon travail. »

Pour chacun de ses rôles, il accomplit un véritable travail de fourmi, se mettant, selon ses méthodes, dans la peau de son personnage. Pour l’agent du fisc américain de Mr Wolff, il a passé des semaines à se documenter. Pour incarner le professeur d’une école de jazz dans Whiplash, il a écouté cette musique jour et nuit. « Mon truc, c’est plutôt l’opérette, rien à voir avec Charlie Parker. » Il avait échafaudé une biographie de son personnage, mais une partie des scènes, pourtant tournées, n’a jamais franchi le montage final. Lui avait un autre film dans la tête. « Un film rêvé, un de plus. Il y a ceux que je tourne, c’est déjà une chance d’y parvenir, mais c’est parfois trop peu, alors j’imagine le reste. » Une autre carrière, secrète et virtuelle, où tout est possible.

La bande-annonce de Mr Wolff

Mr Wolff - Spot Officiel (VOST) - Ben Affleck / Anna Kendrick
Durée : 00:31

« Mr Wolff », de Gavin O’Connor, avec Ben Affleck, Anna Kendrick, J.K. Simmons. 2 h 10. En salles le 1er novembre.