Mark Rutte, le 20 novembre 2015, à La Hague (Pays-Bas). | Martijn Beekman / AFP

C’est un coup de poker qu’il croit possible de réussir in extremis : le premier ministre libéral néerlandais, Mark Rutte, veut renégocier avec ses partenaires européens le traité d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine – qu’ils ont tous signé –, et obtenir des exemptions pour son pays. Ensuite, il soumettra le texte à la première et la deuxième chambre de La Haye (sénateurs et députés), a-t-il expliqué dans une lettre envoyée lundi 31 octobre aux parlementaires. Il pourrait compter, dans la première assemblée, sur l’indispensable soutien des élus de l’Appel chrétien démocrate (CDA) et, dans l’autre, sur celui des réformistes proeuropéens de D66. La coalition libérale-socialiste est minoritaire au Sénat et ne dispose que d’un siège de majorité à la deuxième chambre, où l’un de ses députés a indiqué qu’il voterait contre le texte.

Les pronostics étaient, jusque-là, très défavorables pour M. Rutte, qui devait, en principe, annoncer mardi 1er novembre aux députés qu’il n’était pas en mesure de faire ratifier par son pays un projet de traité rejeté par plus de 60 % des électeurs, lors d’un référendum organisé en avril. Le premier ministre a toutefois indiqué qu’il envisageait désormais une issue favorable, à la suite de négociations de dernière minute avec son opposition.

Le chef du gouvernement veut donc se donner un délai supplémentaire pour commencer une nouvelle discussion avec Bruxelles. Il demande que son pays puisse être exempté de la coopération militaire prévue avec Kiev et entend obtenir la garantie que l’Ukraine ne bénéficiera pas d’aides financières supplémentaires. Il veut également voir figurer dans l’accord la mention explicite que celui-ci ne préfigure en rien une possible adhésion de l’Ukraine à l’UE. Enfin, il s’oppose à toute promesse de libre circulation pour les travailleurs ukrainiens.

« Rester unis »

A Bruxelles, la diplomatie néerlandaise se fait fort de convaincre ses partenaires. Et le porte-parole de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, a indiqué lundi 31 octobre que celui-ci était « prêt à aider » les Pays-Bas dans la recherche d’une solution. Donald Tusk, le président du Conseil européen, a, quant à lui, invité, sur Twitter, les Occidentaux à « rester unis ». Un accord avec La Haye pourrait être entériné au prochain sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, les 15 et 16 décembre, dans la capitale belge.

Le Conseil et la Commission seront d’autant plus enclins à faciliter les choses que le climat politique, déjà détestable à Bruxelles, serait un peu plus détérioré par une nouvelle crise. Après le psychodrame du CETA, l’affaire de la nomination de José Manuel Barroso chez Goldman Sachs ou les déclarations hasardeuses du commissaire allemand Günther Oettinger sur les « bridés » chinois ou « la Wallonie, sous-région communiste », les dirigeants aimeraient s’épargner d’autres désagréments. Et offrir un front moins désuni alors qu’ils peinent déjà à trouver une position commune face à la Russie.

Qu’a promis aux partis qui ont finalement décidé de voler à son secours le premier ministre néerlandais ? Une modification de la loi sur le référendum, affirment plusieurs sources. La ratification d’un traité international ne pourrait plus, à l’avenir, faire l’objet d’une consultation populaire. C’est ce que souhaitait notamment le parti D66. M. Rutte a toutefois démenti, lundi, avoir fait une quelconque concession. Il aurait seulement insisté auprès de ses interlocuteurs sur la nécessité de ne pas remettre en question un texte majeur pour la relation entre l’Europe et une Ukraine sous la menace russe.

Les opposants au traité lancent, eux, des diatribes contre un gouvernement qui « tord le cou à la démocratie », selon le juriste néerlandais, europhobe, Thierry Baudet, qui fut l’un des promoteurs du référendum. « Les partis qui soutiennent Rutte trahissent la démocratie », juge, quant à lui, Emile Roemer, dirigeant du Parti socialiste (SP, gauche radicale).