De nouvelles vidéos choc dénoncent l’abattage de vaches gestantes à Limoges
De nouvelles vidéos choc dénoncent l’abattage de vaches gestantes à Limoges
Par Audrey Garric
Des images insoutenables de l’association L214 montrent des fœtus et des veaux prêts à naître jetés à la poubelle, une pratique légale mais controversée.
Dans un abattoir de Limoges, des images chocs de vaches abattues en gestation
Durée : 00:50
On pensait avoir vu toutes sortes de sévices et de maltraitances animales perpétrés dans des abattoirs. Cette fois, l’horreur est à son comble. Dans de nouvelles vidéos choc, auxquelles Le Monde a eu accès en exclusivité, l’association de protection animale L214 filme pour la première fois l’abattage de vaches gestantes. Si la pratique est légale et régulière, bien que méconnue du grand public, elle reste controversée, au point que plusieurs pays cherchent à l’interdire ou à la limiter en Europe.
Les images, insoutenables, ont été tournées en mai à Limoges, dans le plus grand abattoir municipal de France, avec 1 000 bovins et 1 500 ovins tués par semaine. Elles sont issues de la boyauderie, l’atelier où arrivent les viscères après l’ouverture du ventre des animaux.
On y voit des salariés trancher des utérus au couteau et en sortir, alors que le liquide amniotique se répand, des fœtus à des stades plus ou moins avancés. Certains veaux, longs de plus d’un mètre, ont les sabots formés et parfois même des poils. Les carcasses atterrissent ensuite dans de larges bacs, sur un lit d’utérus et de boyaux.
« Violences choquantes et dérangeantes »
« On jette le veau dans une poubelle pleine de merde. Parfois, il bouge, comme s’il était vivant. On fait ça tous les jours, au moins cinquante fois par semaine. Comment on peut les tuer, nom de Dieu ? Des vaches pleines et des veaux qui sont en train de sortir », s’indigne, dans un entretien au Monde, Mauricio Garcia-Pereira. Cet Espagnol de 47 ans est l’ouvrier qui a filmé avec une caméra GoPro ces scènes qu’il juge « affreuses et criminelles ».
C’est la première fois qu’un lanceur d’alerte témoigne à visage découvert dans le monde occulte des abattoirs. Alors qu’il travaille depuis sept ans dans l’établissement de Limoges, il dit ne « plus y arriver ». « Je sais que je vais perdre mon travail. Je l’espère même, assure-t-il. Je veux que le peuple français soit au courant. »
Mauricio Garcia-Pereira, travaille aux abattoirs de Limoges (87) et a choisi de dénoncer, à visage découvert, des maltraitances lors du processus d’abattage. Son portrait à Limoges, le 1 novembre 2016 Photos Claude Pauquet/Agence VU’ pour Le Monde. | CLAUDE PAUQUET/VU POUR LE MONDE
« C’est le septième abattoir dont on montre les violences inhérentes, mais, cette fois, elles sont encore plus choquantes et dérangeantes. Il n’y a plus de limite à ce qu’on peut faire aux animaux », dénonce Sébastien Arsac, porte-parole de L214. L’association, qui prône la fin de l’exploitation animale, lance une pétition demandant au ministre de l’agriculture de soumettre un projet de loi pour interdire la mise à mort de vaches, au moins lors des trois derniers mois de leur gestation (qui dure 9 mois et 2 semaines chez les bovins).
Rémy Viroulaud, adjoint à la ville de Limoges, chargé de l’abattoir qui emploie 85 personnes, a refusé de répondre aux questions du Monde, rappelant seulement que « l’abattage des vaches gestantes est légal ».
« Raisons économiques »
De fait, aucune législation n’interdit cette pratique. Seul un règlement européen de 2004 bannit le transport de « femelles gravides qui ont passé au moins 90 % de la période de gestation ». Le code sanitaire de l’Organisation mondiale de la santé animale prévoit que « les femelles gravides qui parviendraient au dernier 10 % de la période de gestation ne doivent être ni transportées ni abattues », mais il s’agit de recommandations et non d’une réglementation.
Quelle est l’ampleur du phénomène en Europe ? Aucune donnée chiffrée n’existe dans l’Hexagone. Mais, comme le rappelle l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), des études menées en Allemagne, en Italie, en Belgique et au Luxembourg ont prouvé que 10 % à 15 % des vaches sont abattues alors qu’elles sont pleines, souvent durant la dernière période de gestation. « Si l’on applique ce pourcentage au 1,76 million de vaches réformées par an en France, cela donne comme ordre de grandeur 180 000 vaches gestantes abattues chaque année », calcule Sébastien Arsac.
Parmi les raisons évoquées, les éleveurs interrogés affirment le plus souvent qu’ils n’étaient pas au courant de la gestation, ou avancent des inflammations de la mamelle (mammite) et des troubles de fertilité.
« Il y a aussi des raisons économiques : dans les élevages laitiers, le veau mâle n’a pas de valeur, comme le veau femelle pour les bovins à viande. Or, la vache gestante pesant plus lourd, elle sera vendue plus cher à l’abattoir, au prix de la viande », complète Katharina Riehn, professeure à l’université de Hambourg, qui mène une vaste étude sur le sujet. Enfin, dans certains abattoirs, plus rares, le sérum des veaux peut être récupéré, pour être utilisé en culture cellulaire dans des laboratoires.
Un foetus de veau à l’abattoir de Limoges. | L214
Avis scientifique attendu
La majorité des fœtus finit à l’équarrissage, c’est-à-dire avec les cadavres et déchets d’animaux. Les débouchés, prévus par un règlement européen de 2009, sont l’incinération, la production de biogaz ou d’engrais organiques après stérilisation.
Outre-Rhin, la pratique choque, d’un point de vue de l’éthique et du bien-être animal. En septembre, le gouvernement allemand a soumis une proposition à la Commission européenne visant à interdire l’abattage des vaches lors du dernier trimestre de gestation. Quatre Länder bannissent déjà ce procédé, dans le cadre d’accords volontaires entre les abattoirs, les organisations agricoles, les transporteurs et les associations et des travaux sont en cours pour élargir les interdictions à d’autres animaux (truies, chèvres, brebis, juments).
L’Allemagne, accompagnée par le Danemark, les Pays-Bas et la Suède, a également requis, en août 2015, un avis scientifique de l’EFSA sur la question, attendu dans les prochaines semaines.
Dans ces expertises, une question, cruciale, fait encore débat : le fœtus souffre-t-il lorsque sa mère est abattue ? Jusqu’à présent, aucune étude scientifique n’a pu prouver clairement à quelle phase de son développement le fœtus devient conscient. « Dans l’utérus, le fœtus ne ressent pas de souffrance car il est maintenu inconscient par au moins huit mécanismes neuro-inhibiteurs différents », assure le professeur David Mellor (université de Massey, Nouvelle-Zélande), qui a mené de nombreux travaux sur les sciences du bien-être animal.
En revanche, dans le cas où le fœtus, suffisamment développé, « est sorti de l’utérus et exposé à l’air, il peut devenir conscient et souffrir », précise Donald Broom, professeur à l’université de Cambridge (Royaume-Uni). C’est pourquoi l’Organisation mondiale de la santé animale recommande de ne « retirer les fœtus de l’utérus qu’après un délai d’au moins cinq minutes suivant l’incision de la gorge ou du thorax de la mère ».
« Matériel déficient »
Au-delà des vaches gestantes, l’abattoir de Limoges enfreint plusieurs réglementations concernant l’abattage des bovins, des agneaux et des cochons. D’autres vidéos diffusées par L214 jeudi, filmées entre août et fin septembre, montrent, une fois de plus, des animaux maltraités (utilisation de décharges électriques pour les faire avancer, y compris dans les yeux) et des problèmes de reprise de conscience des bêtes lors de la saignée. Or, la législation impose leur étourdissement, à l’exception de l’abattage rituel.
Sur l’une des vidéos, 24 % des cochons et 15 % des bovins ont dû être étourdis une deuxième fois, une situation que l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) qualifie de « grave et inacceptable ».
« On voit que des consignes ont été données aux ouvriers pour vérifier si l’étourdissement a bien fonctionné, ce qui est un progrès, mais le résultat n’est pas encore là, souligne Sébastien Arsac. C’est notamment la faute à un matériel déficient et à une absence d’intervention des vétérinaires. » L’association compte déposer plainte contre l’abattoir auprès du tribunal de grande instance de Limoges.