Quand la Cour de Cassation ordonne la destruction d’une piscine construite dans un lotissement
Quand la Cour de Cassation ordonne la destruction d’une piscine construite dans un lotissement
Par Aurélie Blondel
Jurisprudence. Argent, famille, immobilier... Toutes les semaines, nous analysons les derniers arrêts de la Cour de cassation et leurs conséquences.
Farniente dans une piscine du sud de la France. | ELEONORA STRANO POUR "LE MONDE"
L’histoire est édifiante. Une piscine construite en 2010 dans un lotissement du sud de la Corse va devoir être démolie par son propriétaire, Eric Y.. Ainsi en a décidé la Cour de cassation mi-octobre, confirmant les jugements de première instance et d’appel.
C’est un couple de voisins qui est à l’origine de l’action en justice. En construisant cette piscine, qui repose sur un local technique et est entourée de trois murs de soutien, Eric Y. n’a pas respecté le cahier des charges du lotissement, disent-ils. Selon ce document, la réalisation d’un tel ensemble requiert un permis de construire et n’est autorisée que dans certaines zones – deux conditions non respectées par « notre coloti » (nom donné aux propriétaires en lotissement).
Eric Y. pensait, lui, pouvoir construire cette piscine car le plan local d’urbanisme (le « PLU », qui fixe les règles d’urbanisme s’appliquant dans une commune) l’y autorisait.
Que dit la loi ? Accrochez-vous, c’est tordu... Les règles d’urbanisme contenues dans les documents du lotissement, cahier des charges compris, deviennent caduques dix ans après l’autorisation de lotir si le lotissement est couvert par un PLU, indique l’article L442-9 du code de l’urbanisme. Le cahier des charges de notre lotissement corse datant des années 1950, les règles d’urbanisme du cahier des charges sont caduques et le PLU s’applique.
« Contrat » privé le liant à ses voisins
Oui, mais seulement au regard de l’administration ! Si Eric Y. avait le droit de construire sa piscine au regard de l’administration, il demeurait toutefois tenu de respecter le « contrat » privé le liant à ses voisins. Car le cahier des charges présente souvent à la fois une valeur contractuelle (entre colotis) et réglementaire (vis-à-vis de l’administration).
« Toutes les stipulations » de tous les cahiers des charges « engagent les colotis entre eux », même en présence d’un PLU, dit sans ambiguïté la Cour de cassation. Si un tiers (par exemple une collectivité) ne peut plus invoquer des dispositions caduques sur le plan réglementaire, elles restent valables sur le plan contractuel. Un coloti peut toujours les invoquer, même après dix ans. Sans avoir à justifier d’un préjudice.
De quoi rappeler aux propriétaires en lotissement qu’il faut absolument prendre connaissance des règles inscrites dans les documents de leur lotissement. Même si vous obtenez en mairie un permis de construire, vous devrez démolir votre construction si elle ne colle pas au cahier des charges et qu’un voisin vous attaque.
« A l’encontre de l’esprit de la loi Alur »
Au-delà de cette histoire de piscine, force est de constater qu’en réaffirmant si clairement la toute puissance du contrat entre colotis, « la Cour de cassation va à l’encontre de l’esprit de la loi Alur de 2014 », commente Emmanuel Lavaud, avocat au barreau de Bordeaux.
Rappelons que l’idée d’Alur, sur ce points, était de modifier les dispositions du code de l’urbanisme relatives aux lotissements pour permettre aux colotis de bénéficier au maximum des possibilités de construire accordées au niveau communal, via le PLU (qui est généralement moins restrictif que les documents des lotissements en matière de possibilités de construire). Objectif : simplifier les règles, mais surtout densifier le tissu urbain, pour répondre aux besoins de nouveaux logements en limitant les conversions d’espaces agricoles et naturels.
Le souci, c’est que la loi est ambiguë. D’un côté, l’article L442-9 limite la portée des règles d’urbanisme contenues dans les documents des lotissements (notamment en les rendant toutes caduques au bout de dix ans), de l’autre, il précise ne pas remettre en cause « les droits et obligations régissant les rapports entre colotis définis dans le cahier des charges ». Un coup dans le zig, un coup dans le zag !
Les juges semblent toutefois trancher contre la philosophie d’Alur : « C’est la seconde fois cette année que la Cour de cassation souligne clairement que le contrat continue à s’appliquer entre les colotis », note Me Lavaud.