Dix pétroliers lancent un « fonds vert » pour réduire les émissions de dioxyde de carbone
Dix pétroliers lancent un « fonds vert » pour réduire les émissions de dioxyde de carbone
LE MONDE ECONOMIE
Shell, BP, Total et sept autres compagnies investiront 1 milliard de dollars sur dix ans dans les technologies de l’énergie propres. « Une goutte d’eau dans l’océan », répliquent les écologistes.
Les PDG de l’ENI, Repsol, Saudi Aramco, BP, Shell, Statoil et Total (de gauche à droite), réunis à Londres vendredi 4 novembre. | DR
Les pétroliers adorent les conférences mondiales sur le climat, qui se succèdent à un rythme soutenu : elles leur offrent une occasion inespérée d’expliquer qu’ils prennent aussi leur part dans la lutte contre le changement climatique. Les PDG des six majors européennes, rejoints par celui du groupe saoudien Saudi Aramco, ont annoncé, vendredi 4 novembre, la création d’un fonds de soutien aux technologies favorisant l’énergie « bas carbone », peu émettrices en dioxyde de carbone (CO2). Le mexicain Pemex, le chinois CNPC et l’indien Reliance y participent aussi.
A quelques jours de la COP22, organisée du lundi 7 au vendredi 18 novembre à Marrakech (Maroc), Shell, BP, Total, Eni, Repsol, Statoil et Saudi Aramco prolongent et amplifient l’initiative lancée, il y a un an, en marge de la COP21 à Paris.
Unir moyens financiers et compétences
Réunis depuis 2014 au sein de la « Oil and Gas Climate Initiative » (OGCI), ces groupes, qui représentent 20 % de la production mondiale d’hydrocarbures, ont créé l’OGCI Climate Investments (OGCI CI), structure qui « financera des start-up et des projets qui présentent un fort potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre ». Une annonce qui intervient le jour même de l’entrée en vigueur de l’accord sur le climat scellé à Paris en décembre 2015.
Le fonds sera doté de 1 milliard de dollars (900 millions d’euros) pour les dix prochaines années. « La priorité sera donnée au déploiement du captage, du stockage et de la valorisation du CO2 à grande échelle », explique les PDG dans un communiqué. Il s’attaquera aussi à « la réduction des émissions de méthane [torchage lors de l’extraction de pétrole, etc.] tout le long de la chaîne de valeur du gaz pour accroître son développement et à l’amélioration de l’efficacité énergétique, tant dans le transport que dans l’industrie. »
L’idée fondatrice, soutenue par le PDG de Total, Patrick Pouyanné, est de rassembler les moyens financiers et les compétences de ces grandes compagnies. Quand l’une d’elles fait une avancée technologique, cette percée pourra être déployée à plus grande échelle, y compris dans d’autres secteurs industriels.
Instaurer un prix du carbone
Pour les dix compagnies concernées, la création de ce fonds « témoigne de notre volonté collective de déployer à grande échelle des technologies permettant une transformation radicale pour contribuer à la lutte contre le changement climatique ».
Les membres de l’OGCI, dont l’initiative est soutenue par les Nations unies, estiment qu’en dix ans, ils ont réduit de 20 % leurs émissions de gaz à effets de serre dans leurs activités, amélioré les carburants produits et coopéré plus étroitement avec les constructeurs automobiles pour limiter la consommation d’essence ou de gazole. Par ailleurs, ils plaident pour une hausse de la part du gaz dans le « mix énergétique », ce qui permettra de fermer plus de centrales au charbon, et l’instauration d’un prix du carbone pour favoriser les énergies moins émettrices de CO2.
Ce fonds s’ajoutera aux sommes que chaque compagnie dépense pour réduire son empreinte carbone et investir dans les technologies d’avenir. Depuis 2008, Total le fait dans le cadre de Total Energy Ventures, qui identifie les possibilités de coopération avec les start-up de l’énergie et en accompagne certaines avec des prises de participations. Il a par ailleurs racheté le fabricant de batteries Saft pour se déployer sur toute la chaîne de l’électricité, de la production à la distribution.
Pas de changement radical
« C’est une goutte d’eau dans un océan » ont immédiatement répliqué les associations de défense de l’environnement. Et même de « la poudre aux yeux » pour certaines. Un milliard de dollars représente très peu face aux 90 milliards de dollars que les six compagnies européennes et le géant saoudien investiront pour extraire, raffiner et tranporter pétrole et gaz cette année, selon les données de Bloomberg. Soit dix millions par compagnie et par an, a calculé l’organisation britannique Energy and Climate Intelligence Unit (HCIU).
Ces mouvements écologistes préconisent tous des mesures plus ambitieuses qui s’attaqueraient au cœur même de l’activité des compagnies : l’extraction des hydrocarbures. Bref, un changement radical de leur « business model ». Ce fonds réduira certes un peu les effets néfastes des énergies fossiles, notent-ils, mais il ne financera pas les énergies propres, les réseaux intelligents ciblés et le stockage de l’électricité.
« Pour avoir 50 % de chance de maintenir l’augmentation de la température globale sous les 2 degrés, les émissions totales de CO2 entre 2011 et 2050 devront se limiter à 11 000 milliards de tonnes », a calculé le HCIU. Ce qui signifie, selon lui, qu’il faudra laisser en terre un tiers des réserves de pétrole, la moitié de celles de gaz et 80 % du charbon. Pétrole et gaz sont responsables à eux deux de 37 % des émissions mondiales de CO2.
Les groupes américains plus réfractaires
Jusqu’à présent, les géants américains ExxonMobil, Chevron ou ConocoPhillips ont refusé de se joindre à une initiative qui doit son existence à leurs concurrents européens. Ils s’en remettent aux forces du marché et aux progrès technologiques. Mais la culture environnementale a beaucoup moins pénétré ces entreprises. Le scénario central d’ExxonMobil prévoit que la production de pétrole augmentera d’environ 20 % d’ici à 2040.
Les majors européennes semblent mieux disposées pour préparer l’après-pétrole, une perspective qu’elles jugent inévitable mais lointaine. A moins que… le 1er novembre, le directeur financier de Shell, Simon Henry, a reconnu que « le pic de la demande de pétrole peut se situer entre cinq et quinze ans, en raison de l’efficacité (énergétique) et de la substitution (par d’autres carburants) ».
Une vérification de la vielle prédiction du cheikh Ahmed Zaki Yamani, l’ancien ministre saoudien du pétrole : « L’âge de pierre ne s’est pas achevé par manque de pierres. L’âge du pétrole ne s’achèvera pas avec le manque de pétrole. »