Après dix mois de restauration et l’allègement des vernis jaunis, le « Saint Jean Baptiste », de Léonard de Vinci (1452-1519), a retrouvé les reflets blond vénitien de son abondante chevelure. | LOUVRE/C2RMN/FLORENCE EVIN

Après une minutieuse restauration de dix mois, le Saint Jean Baptiste, de Léonard de Vinci (1452-1519), sera de nouveau visible, à partir du mercredi 9 novembre, dans la Grande Galerie de peinture du Louvre, à Paris. « Une restauration esthétique destinée à améliorer la lisibilité de l’œuvre, indique Sébastien Allard, directeur du département des peintures du Louvre. Le tableau, complètement englué de vernis, était devenu orange. La croix, la peau de bête comme les détails de la chevelure n’étaient plus visibles, au point qu’on s’interrogeait sur l’autographie. Il s’agit du tableau où Léonard est allé le plus loin dans le velouté des chairs, et le sfumato ».

La cartographie radiographique – aux rayons X, à l’infrarouge… – du tableau, réalisée par le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), a révélé la présence d’une épaisseur de vernis très oxydés de plus de cent dix microns, pour dix-sept couches successives, et montré d’importantes craquelures prématurées liées à la technique picturale de l’artiste, quelques usures et repeints anciens mais aucune lacune majeure.

La croix, la peau de bête et la chevelure dissimulées sous les dix-sept couches de vernis superposées et très oxydées, du « Saint Jean Baptiste », de Léonard de Vinci, avant sa restauration. | LOUVRE/RMN-GRAND PALAIS/ANGÈLE DEGUIER

« Accepter l’œuvre telle qu’elle nous parvient »

« Une fine couche de vernis a été laissée pour ne pas toucher aux glacis ni à la couche peinte par Léonard, indique la restauratrice Regina Moreira. Au fur et à mesure de l’allègement, à un moment, on ne gagnait plus en clarté. Pourquoi continuer et prendre des risques ? Il faut accepter l’œuvre telle qu’elle nous parvient ». De fait, au premier abord, le tableau paraît encore bien sombre. Puis l’œil s’habitue à la palette de couleurs d’une grande sobriété, toute en ombres et lumière, voulue par le peintre : blanc de plomb, à peine teinté de vermillon, et noir de carbone. Si le visiteur patiente, une sorte d’intimité s’installe comme dans le face-à-face d’une conversation privée ; la bienveillance, mêlée d’espoir, de générosité, de sérénité, qu’expriment le regard et le sourire esquissé de Jean Baptiste, opère. Ses boucles aux reflets blond vénitien rayonnent, la croix et la peau de bête sont bien là, dans l’ombre encore.

L’œuvre est un tableau de dévotion privée, un objet personnel avant tout et non pas un portrait d’apparat comme l’est La Joconde. « Saint Jean Baptiste nous attire dans la foi, il est là pour nous charmer, son sourire est plus intrigant », résume Vincent Delieuvin, conservateur au département des peintures du Louvre, spécialiste de la Renaissance italienne. Léonard installe « un rapport immédiat avec le public, il cherche à nous happer dans le tableau, jusqu’au gestuel, comme une invitation », insiste-t-il.

La radiographie aux rayons X du « Saint Jean Baptiste », de Léonard de Vinci, permet d’apercevoir le changement de position du bras, décidé par l’artiste. | C2RMF/ELSA LAMBERT

La position du bras modifiée

Comprendre le processus de création, déterminer aussi le niveau d’achèvement ou d’inachèvement de l’œuvre sur laquelle le Toscan travailla sur une période très longue, tel était aussi l’objectif du Louvre et du C2RMF. L’épreuve aux rayons X révèle que la position du bras a été modifiée. « Il a beaucoup hésité, souligne Vincent Delieuvin, c’est son côté perfectionniste. Comment saisir le mouvement ? C’est la même hésitation que pour La Belle Ferronnière. Chaque position du corps, de la main, du bras a nécessité de légers changements. Ce qui a beaucoup impressionné les gens de l’époque, c’est sa manière d’insuffler la vie à la matière », des portraits si vivants qu’ils étaient craints.

Finalement replié, le bras dégage le visage qui prend une place centrale dans la composition. Sur cette radio apparaissent les trous anciens d’insectes xylophages sur le panneau de noyer de treize millimètres et une couche protectrice appliquée au revers. Particularité aussi, l’abondante présence de grains de verre broyé incolore employé pour son action siccative dans les zones sombres du tableau. Un procédé utilisé par Léonard pour sécher les couches de peinture, et qui a produit lesdites craquelures observées.

Le « Saint Jean Baptiste » est l’un des trois chefs d’œuvre que le maître de la Renaissance italienne a retouchés sans relâche jusqu’à la fin de sa vie

Le Saint Jean Baptiste, commandé en 1507-1508 – le premier dessin du Codex Atlanticus date de 1509 –, est l’un des trois chefs d’œuvre que le maître de la Renaissance italienne a retouchés sans relâche jusqu’à la fin de sa vie, comme La Joconde et La Vierge à l’enfant avec Sainte Anne, trois tableaux qui le suivirent, brinquebalés à travers les Alpes en chariot, alors qu’il se rendait à cheval au Clos Lucé, convié par François Ier, en France, à la fin de l’année 1516. En 1517, le cardinal Louis d’Aragon, l’invité du roi, rencontre Léonard dans son atelier et parle de trois tableaux sur lesquels il travaille, comme le raconte le secrétaire du cardinal, Antonio de Beatis et que le cardinal jugea « tucti perfectissimi ».

François Ier aurait acquis les œuvres du maître de la Renaissance contre un important paiement à Salaï, l’élève chéri, « pour quelques tables de paintures qu’il a baillé au Roy ». Le Saint Jean Baptiste passera, en 1630, dans la collection de Charles Ier d’Angleterre, fruit d’un échange avec le duc de Liancourt, chambellan du roi Louis XIII, contre le Portrait d’Erasme, d’Holbein et une Vierge l’enfant et Saint Jean Baptiste, du Titien. Mazarin le rachète en 1662 pour Louis XIV, et il revient en France. De la collection royale à la collection nationale, il repose au Louvre, son éclat retrouvé.