L’Afrique qui vote Trump en secret
L’Afrique qui vote Trump en secret
Par Jean-Philippe Rémy (Johannesburg, correspondant régional)
Dans des cercles de l’élite, où l’on célèbre « l’entrepreneur », adepte d’un laisser-faire libéral, on veut croire que le nouveau président américain renoncera aux pressions sur les pays du continent.
Un homme lit « La voie », journal ivoirien proche de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, le 10 novembre 2016. La candidate démocrate Hillary Clinton, battue par Donald Trump, y est présentée comme une ennemie de Gbagbo. | SIA KAMBOU / AFP
Des Africains soutenant Donald Trump, mais sans le crier sur les toits. Au cours des semaines précédant l’élection présidentielle américaine, ce type d’opinion ne surgissait qu’en petit comité, à l’heure des confidences, souvent dans un halo d’euphémismes prudents. Des interlocuteurs originaires de plusieurs pays d’Afrique, cependant, y laissaient percer la même attirance inattendue à l’égard de Donald Trump.
Le candidat qui a reçu au cours de la campagne le soutien de David Duke – ancien leader du Klu Klux Klan – et s’est distingué par des propos ouvertement xénophobes, exerçait donc une fascination sur le continent africain, surtout dans des milieux aisés, épanouis, éduqués, ouverts au monde… Etait-ce une simple contradiction, un point de vue marginal ? Il était difficile de l’affirmer, car de tels points de vue s’affirmaient rarement de manière publique jusqu’au jour de l’élection. Seule certitude : ce n’était pas là une opinion anecdotique.
Sympathie en miroir
Il y avait bien Malik Obama, le demi-frère kényan du président. Il avait appelé à voter pour Donald Trump, car celui-ci « amenait quelque chose de neuf et d’excitant ». Mais il reconnaissait agir sous l’effet d’une déception : « J’ai essayé de coexister avec mon frère, Barack Obama, mais il m’a éjecté. [Il est] dans sa tour d’ivoire. J’ai laissé tomber », écrivait-il sur Twitter. Parallèlement, Reno Omokri un pasteur nigérian, ex-consultant, ancien porte-parole de l’ex-président du Nigeria Goodluck Jonathan, menait une micro-campagne sur Facebook consacrée aux « Africains pour Trump » et claironnait : « Je suis un conservateur, c’est pourquoi je soutiens Donald Trump. »
I tried to co-exist with my brother Barack Obama but he shut me out; In his Ivory Tower. I gave up.
— ObamaMalik (@Malik Obama)
Or, l’intérêt pour Donald Trump dans des cercles de l’élite, relevait d’autre chose. On y célèbre « l’entrepreneur », adepte d’un laisser-faire libéral, opposé à Hillary Clinton qui « a été employée par l’Etat pendant toute sa carrière », selon Reno Omokri. Au-delà, un homme d’affaires estimait lors d’une ces discussions sur le cas Trump que « les ennemis de mes ennemis peuvent être mes amis, tout dépend de la stratégie ». Stratégie pour atteindre quel but ? « Celui d’une Afrique libre. » Et les ennemis ? « Les responsables politiques africains soumis, corrompus, qui entravent le développement pour le bénéfice de leurs alliés étrangers. » Vrai ou faux, le point de vue ressemble déjà, à certains égards, aux arguments de Donald Trump.
Le raisonnement exige un peu d’attention. Il est fondé sur l’espoir que Donald Trump renoncera aux « pressions » sur les pays du continent, pour la simple raison qu’il n’éprouve aucun intérêt pour cette partie du monde, où il ne distingue aucun grand intérêt américain, résume un banquier, qui ajoute : « Trump, c’est un homme d’affaires. Et au bout du compte, c’est l’Afrique qui sera gagnante, parce que si le système mondial est secoué par une grande crise, ce sera intéressant de venir chercher de la croissance sur ce continent. L’Afrique, avec ses dérégulations, peut avoir un rôle majeur à jouer », calcule-t-il.
L’intérêt pour Donald Trump révèle une forme de sympathie en miroir pour ses électeurs supposés « populaires, anti-élites », comme l’affirme le même interlocuteur. En version simplifiée, cela constitue un appel à ne plus se voir admonester. « Plus personne ne supporte les leçons. Plus personne ne peut fermer les yeux sur les contradictions des pays occidentaux donneurs de ces leçons, mais bourrés de contradictions. Ils critiquent les élections en Afrique, mais déclenchent la guerre en Libye, comme des voyous. »
« Donald va travailler dur »
L’appui à la rébellion libyenne de 2011, l’effondrement de l’Etat, la guerre des factions, constituent un point de cristallisation pour les opinions africaines. Comme si les dirigeants occidentaux impliqués, de la France aux Etats-Unis, s’étaient compromis aux yeux de tout un continent. Or, dans l’une de ses rares déclarations consacrées à l’Afrique, Donald Trump en campagne a affirmé que l’intervention en Libye (menée par l’administration Obama, et dans laquelle Hillary Clinton était engagée, cela tombait bien) constituait un désastre : « Regardez ce qu’on a fait là-bas, c’est le bordel absolu. » On pourra dire qu’il s’agit de populisme. Et surtout qu’en 2011, il disait exactement l’inverse, défendant une intervention – voire une campagne d’assassinats – contre le pouvoir de Mouammar Kadhafi. Mais qui veut s’en souvenir ? La fascination semble effacer, aussi, les contradictions.
Les intellectuels, les écrivains, du continent n’ont pas cédé à cette tentation. Wole Soyinka, Prix Nobel nigérian de littérature (en 1986), a déclaré sur la BBC que dans le cas d’une victoire de Donald Trump, il « déchirerait sa carte verte [américaine] ». Cette voix ne semble pas porter dans les milieux où se manifeste l’attente d’un président américain de rupture, à tout prix. « Le système ne le laissera jamais gagner. Les hommes comme ça, on les neutralise, parfois, on les assassine », croyait même pouvoir affirmer un de ces soutiens discrets, comme s’il parlait de Martin Luther King. C’était une dizaine de jours avant le scrutin.
Et une fois la victoire de Donald Trump connue ? Dans le même milieu, certains se réjouissent, le jour des résultats, de ce « grand changement », mais encore à couvert, sur des forums fermés, entre soi. « Donald va travailler dur. Il va montrer à tous ces gens qu’ils ont tort, et il va développer les centres-villes [désertés par les classes supérieures et habités par des populations noires déshéritées] », affirmait la conseillère d’un président africain ayant fait une partie de ses études aux Etats-Unis, comme une partie de ces Africains pro-Trump discrets.
Il a fallu les déclarations de chefs d’Etat, à commencer par celui du Burundais Pierre Nkurunziza, pour donner un autre ton à cette parole publique. « Votre victoire est la victoire de tous les Américains », s’est-il réjoui. Cette joie est à détentes multiples. Le président burundais peut sans doute se féliciter de l’échec d’Hillary Clinton, dont il pouvait avoir calculé qu’elle conserverait une proximité avec le président rwandais, Paul Kagamé, son ennemi juré. Une forme d’influence inversée, en somme.