Chantier à la porte de la Chapelle, le 26 octobre à Paris. | © Benoit Tessier / Reuters / REUTERS

Il l’a réaffirmé avec conviction, comme tant d’autres avant lui. « La désindustrialisation n’est pas une fatalité », a martelé Manuel Valls, jeudi 10 novembre, lors d’une visite à Corbeil-Essonnes, sur le site du fabricant de semi-conducteurs X-Fab. La concurrence mondiale « ne fait aucun cadeau (…). Mais nous avons des atouts à faire valoir, et en particulier nos capacités d’innovation », a souligné le premier ministre.

Vraiment ? Depuis des années, la perte de compétitivité de la France, cette difficulté de notre économie à rester dans la course mondiale, donne des sueurs froides aux économistes comme aux politiques. Aux craintes que l’Hexagone ne soit relégué au second rang, s’ajoutent celles d’un déclassement d’une partie de sa population, terreau du vote contestataire et populiste. Si l’Allemagne a retrouvé dès 2011 son niveau de production de 2008, la France, comme l’Espagne ou l’Italie, porte toujours les stigmates de la crise.

Une étude publiée jeudi 10 novembre par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), traditionnellement classé à gauche, sur « L’Etat du tissu productif français », relance le débat. « Oui, il y a une vraie menace de décrochage de l’appareil productif français », assène Lionel Nesta, principal auteur de l’étude, professeur à l’université de Nice-Sophia Antipolis et directeur du département innovation et concurrence à l’OFCE. Une situation intimement liée aux difficultés de l’industrie tricolore, qui joue « un rôle central dans la croissance économique » rappelle M. Nesta.

Et pour cause. Si elle ne représente plus que 11 % du PIB en 2013 (contre 22,6 % en Allemagne), l’industrie est fortement consommatrice de services marchands et concentre l’essentiel des exportations et des efforts de recherche et développement (R&D) privée. Elle regroupe aussi des emplois en moyenne plus sophistiqués, donc mieux payés, et des possibilités de gain de productivité plus importants.

Le coût du travail, « usual suspect »

Mais dans le secteur, tous les voyants sont au rouge. En septembre, la production industrielle s’est repliée de 1,1 %, a indiqué l’Insee jeudi 10 novembre. Les destructions d’emplois y ont été massives depuis la crise financière (500 000 entre 2008 et 2013). Quant au déficit commercial, qui se résorbait depuis quatre ans, il a totalisé 48,7 milliards d’euros entre septembre 2015 et septembre 2016, contre 45,4 milliards un an plus tôt.

Emmanuel Jessua, directeur des études chez Coe-Rexecode, institut de conjoncture proche du patronat, indique ainsi :

« On assiste à une dégradation continue de la compétitivité française depuis 2000, sur fond de passage aux 35 heures, de perte d’attractivité de la France et d’érosion de sa base industrielle. Nos exportations de biens et services représentaient alors 17 % de celles de la zone euro, contre 13,4 % en 2015. »

Dès lors, que faire ? Pour certains, la partie est déjà perdue. D’un côté, « faire disparaître l’écart de coût de production entre la France et l’Espagne nécessiterait une baisse improbable des salaires », de l’autre, « on ne voit pas de signe de hausse du niveau de gamme de l’industrie française », tranchait Patrick Artus, économiste chez Natixis, dans une note de septembre intitulée « France : l’impossible réindustrialisation ».

L’étude de l’OFCE a le mérite de ne pas réduire le sujet à la question du coût du travail, « usual suspect » en matière de perte de compétitivité, qui incite les entreprises françaises à réclamer toujours plus de baisses de charges. Selon M. Nesta, si l’économie tricolore décroche, c’est qu’elle est « prise en sandwich entre une concurrence en prix croissante [de la part de l’Espagne notamment, qui a drastiquement réduit son coût du travail] et une anémie persistante de son effort de recherche et de ses investissements productifs ».

« Si l’on veut réindustrialiser le pays, il va falloir monter en gamme », souligne M. Nesta.

« Si l’on veut réindustrialiser le pays, il va falloir monter en gamme », souligne M. Nesta. Pour l’heure, les entreprises hexagonales ont beau investir, elles le font davantage dans la construction et l’immobilier que pour s’équiper en machines et robots. Et en matière d’innovation, la France fait des efforts « significatifs mais plus faibles que les pays les plus innovants », comme l’Allemagne. Ce ne va pas sans poser des questions sur la pertinence du crédit d’impôt recherche (CIR), ce dispositif fiscal à 6 milliards d’euros par an.

Les effets du CICE encore très discutés

Ce constat mérite d’être nuancé : il ne prend pas en compte le fort rebond des investissements productifs français généré par la mesure de suramortissement fiscal en place depuis avril 2015. En revanche, « il faut que les politiques fiscales mises en place dernièrement [CICE] se traduisent par des gains réels de compétitivité », insiste M. Nesta. C’est-à-dire soit par une baisse de prix des entreprises à même de dynamiser les ventes, soit par des investissements pour se moderniser. Problème : les effets du CICE sont encore très discutés, même si son impact sur la reconstitution des marges des entreprises est salué.

« La prise de conscience par le gouvernement de la nécessité de réorienter la politique économique vers une baisse des charges est positive. Mais ce processus prendra du temps », abonde M. Jessua. La période qui s’ouvre semble décisive pour la France. En particulier, la hausse de l’investissement productif depuis un an peut expliquer la hausse des importations (surcroît d’achat de biens d’équipements à l’étranger), et donc la dégradation du solde commercial. « On peut espérer un cercle vertueux, qui permettrait à terme de réenclencher une montée en gamme. Mais à ce stade, cela reste de l’ordre de la conjecture », conclut M. Jessua.