Des militants démocrates à Dallas, le 8 novembre. | Nathan Hunsinger / AP

Pour les démocrates, la potion est amère. Ils s’étaient vus en haut de l’affiche, avec l’une des leurs à la Maison Blanche et peut-être une majorité au Sénat. Ils se retrouvent dans la position de mouvement ultra-minoritaire.

Le 20 janvier, quand Barack Obama quittera la présidence, sa formation n’aura guère de levier de pouvoir à Washington, et pas plus à l’échelon local : le Parti républicain compte maintenant 33 gouverneurs (sur 50) et il a le contrôle total des institutions (l’exécutif et les deux assemblées) dans 25 Etats. En huit ans, le parti démocrate a été « oblitéré » au niveau des Etats, analyse la professeure de philosophie politique Danielle Allen dans le Washington Post.

Tout n’est pas totalement noir. Les démocrates ont réussi à faire élire quatre femmes issues de minorités au Sénat, dont Catherine Cortez Masto, qui sera la première sénatrice latina. Son élection, dans le Nevada, représente un exploit personnel pour Harry Reid, le chef de file des démocrates du Sénat, l’un des pionniers de la stratégie d’intégration des Latinos dans l’appareil du parti.

Mais le combat a laissé des ecchymoses. Les courriels des ténors démocrates et les petites combines du parti ont été exposés sur la place publique. A l’image des questions communiquées à l’avance à la candidate, comme si Hillary Clinton, toujours si « bien préparée », avait besoin de savoir qu’elle risquait d’être interrogée sur le scandale de l’eau contaminée quand elle se rend à un débat dans le Michigan face à Bernie Sanders.

« Ménage »

En public, personne n’a accablé l’ex-secrétaire d’Etat. A demi-mots, Barack Obama a regretté que les démocrates n’avaient pas assez labouré le pays profond. « Nous devons être présents partout », a-t-il recommandé, en rappelant qu’il avait passé 87 jours à arpenter l’Iowa, Etat rural qu’il a gagné deux fois, mais qui a été perdu de 10 points par Mme Clinton.

Bernie Sanders, de retour au Sénat, a été plus direct. Il a tonné contre un mouvement plus préoccupé de lever des fonds auprès « des riches, dans les cocktails » que de l’Amérique d’en-bas. Le parti a besoin d’un « réexamen fondamental », a-t-il exigé. Au total, Mme Clinton a collecté 972 millions de dollars (908 millions d’euros) pour sa campagne dont 56 % auprès de gros donateurs. Elle a elle-même participé à 400 événements de levée de fonds. « Le parti actuel est devenu une gigantesque machine à collecter des fonds, déplore l’économiste Robert Reich, ancien ministre de Bill Clinton. Soit il fait le ménage, soit nous lançons un troisième parti ».

Secoués par la défaite, les démocrates n’ont pas encore décidé de leur comportement face à Donald Trump. Pas question de collaboration avec le magnat des casinos, ont fait savoir Bernie Sanders et Elizabeth Warren, l’autre figure de proue de la gauche progressiste. Sauf sur un sujet : son plan de modernisation tous azimuts des infrastructures, évalué à quelque 500 milliards de dollars – un projet qui n’est pas du tout du goût des républicains anti-déficits du Congrès, ce qui ne le rend que plus attirant pour les démocrates.

D’autres, comme le professeur de droit Cass Sunstein, un ami personnel de Barack Obama et époux de son ambassadrice à l’ONU Samantha Power, conseillent la « coopération ». Une attitude qu’il « ne faut pas voir comme une capitulation », plaide-t-il, mais comme une manière de remettre en marche le gouvernement, paralysé depuis plus de quatre ans par la cohabitation.

« Tea party bleu »

A la base, c’est plutôt la révolte qui gronde, encouragée par les figures progressistes influentes dans les médias, comme Michael Moore, qui maintient le sentiment d’urgence par un happening permanent, jusque devant la Trump Tower à New York. Ou comme Bill Maher, l’animateur du show satirique de HBO, qui a fait fabriquer des casquettes, d’un bleu aussi franc que le rouge des trumpistes, portant l’inscription « We’re still here » (« Nous sommes toujours là »). Pour eux, la page de l’ère Clinton est tournée. « L’establishment a eu sa chance, a expliqué, au Washington Post, Stephanie Taylor, du Comité de campagne pour le changement progressiste. Il faut maintenant une direction plus jeune pour le parti, plus diverse et plus idéologique. » Une sorte de « Tea party bleu », selon l’expression de Danielle Allen.

Michael Moore, le 12 novembre à la Trump Tower. | Yana Paskova / AFP

Les progressistes entendent s’emparer de l’appareil. Lundi, Chuck Schumer, 65 ans, promis à prendre la succession de Harry Reid, a vu son bureau du Sénat occupé par des jeunes qui protestaient contre ses liens avec Wall Street. Mardi, Nancy Pelosi, 76 ans, qui croyait pouvoir être adoubée une nouvelle fois présidente du groupe démocrate à la Chambre des représentants, s’est entendu dire qu’il y avait moins d’urgence à se doter d’un « leadership » que d’une vision politique, et qu’une analyse de l’échec s’imposait.

La présidence du Comité national démocrate, l’organe dirigeant du parti, surtout, fait l’objet de convoitises. Une demi-douzaine de candidats sont en lice, dont Howard Dean, le Bernie Sanders de 2004, auquel l’establishment avait préféré le peu enthousiasmant John Kerry. Dean a pour lui d’avoir déjà occupé le poste. Il y a pratiqué une stratégie dite des « cinquante Etats », avec un Parti démocrate présent sur tout le territoire et pas seulement dans les enclaves libérales. Le mouvement ne peut pas être seulement celui des minorités, estime-t-il.
Le candidat favori de la gauche, poussé par Bernie Sanders, est Keith Ellison, 53 ans, un Afro-Américain qui est le seul élu musulman du Congrès. Représentant du Minnesota, homme de terrain, Il a promis moins de cocktails avec les bailleurs de fonds. Mais plus de contacts directs avec les électeurs, autour de « marmites de chili » plutôt que lors de dîners de gala.