En Ouganda, 100 000 réfugiés sud-soudanais bénéficient de transferts d’argent du PAM
En Ouganda, 100 000 réfugiés sud-soudanais bénéficient de transferts d’argent du PAM
Par Gaël Grilhot (contributeur Le Monde Afrique, Rhino, Ouganda)
Ce système développé par le Programme alimentaire mondial est moins coûteux que la distribution de nourriture dynamise l’économie locale.
A deux bonnes heures de piste d’Arua, un petit camion bleu de la Postbank stationne dans le camp de Rhino, à proximité d’un arbre qui dispense une ombre salutaire en cette mi-journée. Des réfugiés, essentiellement des femmes, s’enregistrent pour bénéficier du programme de transfert d’argent du Programme alimentaire mondial (PAM). D’autres, déjà bénéficiaires, discutent à l’écart. « La première chose que nous faisons, c’est utiliser cet argent pour acheter de la nourriture, et s’il reste un peu de monnaie, nous l’utilisons pour d’autres choses », témoigne Tabista, mère de trois enfants et arrivée dans le camp en 2014.
« Chaque réfugié se voit attribuer une somme qui varie en moyenne entre 5 et 12 dollars [4,60 et 11,20 euros] par personne et par mois », explique Jaakko Valli, responsable de programme au PAM. Les sommes exactes sont attribuées en fonction de l’ancienneté dans le camp, du nombre d’enfants à charge ou encore de la vulnérabilité des réfugiés. Au total, plus de 100 000 personnes sont aujourd’hui concernées par ce système en Ouganda, et les résultats semblent dépasser les espérances de l’organisation. Le principe de distribution gratuite de nourriture aux réfugiés est depuis longtemps critiqué car les denrées sont souvent revendues à des prix inférieurs aux prix locaux, ce qui dégrade l’économie. Le PAM semble donc avoir trouvé la parade.
« Effet d’entraînement »
« On s’aperçoit très rapidement que les marchés locaux profitent directement de cet argent, et qu’il y a une véritable dynamique économique », poursuit Jakko Valli. En Ouganda, où chaque réfugié se voit attribuer par le gouvernement un lopin de terre pour habiter et cultiver, l’effet est même démultiplié. « Les bénéficiaires sont capables d’accéder aux marchés locaux, et même d’augmenter significativement l’offre », précise le responsable humanitaire.
Dans un rapport publié début novembre, des chercheurs de l’université de Californie ont d’ailleurs chiffré pour la première fois cet apport. Ainsi, un dollar investi pour un réfugié qui cultive sa terre peut rapporter jusqu’à 1,5 dollar supplémentaire aux communautés locales, par ce qu’ils nomment un « effet d’entraînement sur le revenu ». Un apport supérieur à ce qu’il pourrait être en cas de distribution de nourriture.
Des réfugiés, essentiellement des femmes, s’enregistrent pour bénéficier du programme de transfert d’argent du PAM dans le camp de Rhino, en Ouganda, en novembre 2016. | Gaël Grilhot
Devant le petit camion bleu, Moses Onukaya Zuze prend méticuleusement en photo chaque réfugié nouvellement enregistré, et transfère les clichés sur son ordinateur. Une précaution « indispensable pour éviter les fraudes », selon l’employé de la Postbank, le partenaire financier du PAM en Ouganda. Naturellement, la banque prend une commission : environ 5 000 shillings ougandais (1,5 dollar) par transfert. Une somme importante, mais, pour Jakko Valli, le coût de fonctionnement demeure nettement avantageux. « Lorsque vous distribuez de la nourriture aux réfugiés, ils ne reçoivent que 55 % du coût total qu’il a fallu pour la payer ou la transporter, justifie-t-il. Dans le cas du transfert d’argent, cette proportion passe à 78 %. En moyenne, l’assistance en argent est 20 % moins chère que la distribution de nourriture. »
Toucher jusqu’à 250 000 réfugiés
A tel point que le PAM souhaite étendre son programme en Ouganda, pour toucher jusqu’à 250 000 réfugiés d’ici à mars 2017. Une stratégie qui arrive à point nommé car, pour l’organisation, l’heure est aux économies. Depuis la reprise des combats entre les troupes de Salva Kiir et les partisans de Riek Machar en juillet, l’afflux de réfugiés sud-soudanais s’est considérablement amplifié. Une arrivée massive qui, à terme, selon le Haut Commissariat aux réfugiés, met le modèle ougandais d’attribution des terres en danger. Près de 3 000 d’entre eux passent la frontière chaque jour, et le PAM, à cours de ressources, ne parvient plus à venir en aide à tout le monde. L’organisation a déjà été contrainte de couper dans certaines aides. Tabista a ainsi vu son apport mensuel diminuer de 18 à 14 dollars, et se plaint de ne plus avoir assez pour faire vivre sa famille. Pourtant, comme les autres réfugiés rencontrés, elle refuse de revenir à la distribution alimentaire du PAM. Disposer d’une somme en liquide lui permet de faire ses propres choix, comme acheter des produits frais (œufs, viande, fruits…) qui ne sont pas distribués dans les rations classiques.
Dans l’immense camp voisin de Bidi Bidi, sorti de la brousse en moins de quatre mois, et qui héberge déjà plus de 210 000 réfugiés, on est plutôt circonspect devant une extension de ce système aux nouveaux arrivants. « Cela peut fonctionner avec des gens qui sont déjà installés, affirme le responsable du gouvernement responsable du camp, Robert Baryamwesiga. Mais les gens qui sont encore en mouvement ont beaucoup de besoins, et si vous leur donnez de l’argent, ils peuvent choisir d’acheter d’autres choses, comme de l’alcool ou des vêtements, par exemple. »
Le commissaire européen à l’aide humanitaire Christos Stylianides, en visite dans les camps vendredi 11 novembre, a annoncé une aide supplémentaire de 30 millions d’euros pour les réfugiés en Ouganda. S’il reste prudent sur l’utilisation d’un tel système pour les nouveaux arrivants, il affirme néanmoins le « soutenir pleinement, car il permet d’assurer la dignité pour tous les réfugiés et [les] réconcilier avec les communautés locales ».